MICHEL-ANGE ET LA "FICA" (LA FIGUE-AU-PAPE)
Cet arbre et ce fruit inter-méditerranéens, marqueurs de civilisation, sont trop impliqués dans notre culture pour être traités avec désinvolture. Faisons appel à un insurpassable génie de la Renaissance : Michel-Ange.
Michel-Ange, entre glands de Chêne et fruits de Figuier
Lorsqu'aux premières années du XVIème siècle, Michel-Ange accepta, sur ordre des papes Della Rovere (patronyme dérivé de "rouvre" : chêne), Sixte IV, suivi quelques pontificats plus tard du neveu Jules II, de décorer la voûte de la Chapelle Sixtine à Rome, il entreprit de dérouler les épisodes majeurs de la Genèse.
La conception spiritualiste de l'artiste s'exprima dans des images éclatantes de vie, évoquant les puissances créatrices sur fond d'Âge d'or antiquisant, que le pontificat de Jules II entendait revivifier. Les figures mythologiques de l'univers mental de Michel-Ange vont illustrer la structure intime de l'homme.
Après avoir immortalisé la "Création d'Adam", suivi de la création d'Ève en guise de compagne, le peintre dans un raccourci saisissant évoque la prétendue faute du "fruit défendu", et montre le bannissement du Paradis terrestre. Au centre du panneau, séparant les deux épisodes, il y a l'arbre interdit, << l'arbre qui est au milieu du jardin >>, (Genèse 3,1), un figuier chargé de fruits mûrs.
La Bible, quelques lignes plus loin, dit bien qu'il s'agit d'un figuier ("teènah" dans le texte), (Ficus carica L.), et précise que le couple se confectionne un pagne avec des feuilles de figuier, du moins en été.
Enroulée autour du tronc, une divinité insolite, une Serpente tend deux figues à Ève. Celle-ci va prendre l'offrande. Adam est debout prêt à cueillir l'aubaine.
Plafond de la Chapelle Sixtine, "l'Arbre du fruit défendu", Adam, Ève, et la Serpente au moment de la "faute". Dans cet épisode majeur du "péché originel", Michel-Ange donne au Démon, divinité antagoniste, l'unique image d'un serpent féminin offrant des figues. 1508/1512. (©courtesy).
Nos ancêtres, dans leur nudité dionysiaque et leur appétit, montrent ici l'une des qualités essentielles de l'homme, la curiosité. Tendance qui vaudra aux humains l'exil du Paradis terrestre.
JEUX DE MAINS, JEUX DIVINS
Le Serpent, peint par Michel-Ange, relie en une diagonale explicite, partant de son épaule, les différents symboles populaires, et leurs noms vulgaires, des fruits du figuier. Ce geste de la main, venant de l'être démoniaque, parodie le geste sublime du Créateur, lors de l'éveil d'Adam, effleurant de l'index la main humaine tendue vers Dieu. Gracieux jeux de mains, de lèvres et de figues.
En regard de cette scène idyllique, montrant le premier couple au moment où leurs yeux se dessillent, nous voyons, à droite de l'arbre, l'exil, l'expulsion de la terre natale sous les menaces de l'épée brandie par la main d'un archange. Honteux, affligé, le jeune couple s'expatrie. Juste au-dessus de la scène, débordant du cadre jusqu'à toucher le bras de l'exécuteur, il y a l'une des nombreuses cornes d'abondance, tenues par l'un de ces "Ignudi", emplies de feuilles de chêne et de glands dorés en référence aux papes mécènes.
Dans ce panneau majeur de la Genèse, les deux arbres essentiels que l'on remarque dans l'oeuvre de Michel-Ange sont ici assemblés. Et comment ne pas noter alors la vingtaine d’ignudi, jeunes hommes gigantesques, à peu près nus, placé comme des génies médiateurs entre les domaines terrestres et le ciel. Anges représentant peut-être la force de l’Esprit (souffle de Dieu), en prolongement d'autres allégories signifiant le corps et son âme immortelle. Comme nous, ce que les commanditaires ne purent ignorer de l’œuvre de l’artiste, c’est l’esprit apollinien qui souffle dans le ciel du sanctuaire grâce à la beauté des corps.
Je ne connais pas le contrat signé entre Jules II et Michel-Ange, mais j’imagine qu’il stipulait l’obligation d’un hommage appuyé à la dynastie papale, dont la famille, portée au népotisme, se reconnaissait dans le chêne présent dans son patronyme. Chaque panneau, est ponctué d’un de ces ignudi — anges sexués, déplumés et aptères (et analphabètes), opposés aux anges rebelles de couleur bronze — Ils sont accompagnés d’une brassée de rameaux de chêne chargés de fruits (les glands du blason des Della Rovere, mais aussi du culte de Priape).
Cette famille, peu sensible à la pudibonderie visant la nudité, ayant eu la manie de placer ses armoiries, exposant une branche de chêne et des glands partout et jusqu'en Avignon, Michel-Ange les prenant au pied de la lettre en surajouta.
L’association des noix du chêne et de l’anatomie masculine sur le plafond commence avec la célèbre création d’Adam : lorsque Dieu, soutenu par les angelots dans un manteau gonflé de vent divin (le Rouah), insuffle du bout de l’index l’énergie vitale au Premier homme, l’artiste plaça tout à côté d’Adam une corbeille pleine à ras-bord de provende de chêne. Le chêne serait donc parmi les "Arbres de Vie" consommables, mentionnés en Genèse III-2.
Ci-contre à droite, une de ces allégories inventées par Michel-Ange, les "Ignudi", lesquels tranchent sur l'ensemble des personnages des fresques par l'absence de tout témoignage d'écriture.
De l’image d’Adam au sortir de la glaise (au minuscule prépuce selon l’esthétique antique), jusqu’au moment de son expulsion du Paradis, et de sa fuite honteuse en compagnie d’Ève, Michel-Ange répandit sur son passage (outre les figues), des paniers de glands gigantesques et turgescents. Il lui tendit à bout de bras des cornes d’abondance débordantes de glands ; signature des Jules certainement, mais aussi correspondance anatomique inévitable.
Il suffit de comparer les noix de chêne véritables, avec leur picot au sommet de l’akène comme un tétin de sein (ici les glands dorés renvoient aux seins de La Nuit du tombeau de Julien de Médicis et à ceux d'autres femmes), pour deviner le glissement sémiologique opéré par l’art du peintre en certains endroits pour viriliser ces fruits. Ce dernier exemple d'ambivalence sémantique caractéristique, geste libertaire approchant des temps émancipés, nous laisse croire à la bénédiction silencieuse des Papes.
Ci-contre, à droite, plafond de la Sixtine. Registre du haut, moitié droite du panneau de l'expulsion du Paradis. Au-dessus de l'ange brandissant l'épée, Michel-Ange à peint un "Ignudo" tenant une brassée de glands et de feuilles de chêne en hommage aux mécènes, les papes qui commandèrent l'oeuvre.
Ci-contre, à gauche, glands de chênes comestibles. Isidore de Séville écrivait, au XVII ème siècle, dans ses "Etymologies" (L. 17), que le chêne yeuse est l'arbre qui a produit la première nourriture de notre ancêtre Adam. Michel-Ange, comme tous les érudits de son temps, lisait l'encyclopédiste Andalous Isidore. (©courtesy).
LA FIGUE-AU-PAPE (LA FICA)
Rejoignons le monde des enfants et leur gestuelle parlante universelle.
— Ci-contre, à droite : geste de protection contre le mauvais oeil ? Un contre-charme ? Son ambiguïté déroute-elle le maléfice ? Le signe de la figue-au-pape ne pourrait-il être qu'un simple signal, transmettant un nombre dans le langage silencieux des chasseurs. Plus vraisemblablement, ne sommes-nous pas devant le vestige d'un geste sacré ou de son envers carnavalesque ? (Photo Lyèce Boukhitine).
Les mauvaises manières
Langage du geste, alphabet des signes, langue secrète. Signes de métier : le salut militaire par exemple. Signe de reconnaissance : la poignée de main. Signe de connivence des adolescents d’une même caste banlieusarde. Doigt d’honneur adressé aux forces de l’ordre lorsque l’effet de groupe protège le camp insurgé. La langue des signes a ses jurons, digitus impudicus...
La figue-au-pape, ou plus simplement « la figue » (figa en Occitan) était le geste préféré des petits garçons du temps jadis. Ça commençait par l’enfançon à qui le grand-père « coupait » le nez en le saisissant entre l’index et le majeur, puis en lui montrant le bout qui restait entre les doigts. La castration du nez causait le premier effroi au mistouflet. La suite, en un enchaînement logique, conduit à Rabelais.
L’ISLE DES PAPEFIGUES ET PANTAGRUEL
Retournant ainsi à la Figue, concentrons-nous sur l’expression populaire, et très chrétienne : << faire la figue-au-pape >>, lazzi plus ancien que Jules II et Michel-Ange.
Les encyclopédies ont retenu l’expressive image et datent sa plus ancienne mention écrite dans un texte du XIIe siècle ; les philologues lui attribuent une origine italienne, ce qui n’est pas pour surprendre.
Nous connaissons, vers 1150, la mention qui se trouve dans Lo Roman de Jauffré, texte occitan du domaine français, mais il n'y est pas encore question du pape.
Maître François Rabelais, à qui il faut toujours revenir dès qu’il s’agit de choses sérieuses, traduit dans « Briefve Déclaration » : Ecco lo fico, par « Voilà la figue ». Il ne fait alors que reprendre la leçon de son Quart-Livre, (chapitre 45) : "Comment Pantagruel descendit en l’Isle des Papefigues", publié en 1552 (nous y voilà).
Ci-dessus, la "FICA", de Leptis-Magna (Libye). Cette sculpture fort païenne datant du 1er siècle de notre ère, proviendrait du temple de Liber Paters sur le forum vieux. Leptis-Magna, après avoir été un comptoir fondé par les Phéniciens sur le golfe de la Syrtes, en Libye, reçut en 111 avant notre ère le statut de cité berbère fédérée à Rome. La ville donnera le jour à l'empereur d'origine Berbère Septime Sévère.
Cette sculpture en relief, solidaire d'un gros bloc de calcaire, associe les pouvoirs apotropaïques du phallus et du geste de la fica, elle est peut-être une "enseigne", un signe indicateur initialement placé à l'angle d'un carrefour pour signaler un lupanar ; ou peut-être s'agit-il d'un hermès jeté à terre.
Cette photographie a été prise en 1998, elle n'avait jamais été publiée. (© Jean-Marie Lamblard).
LE BON MÉDECIN RABELAIS
Les admirateurs de l’œuvre rabelaisienne savent que maître François connaissait très bien les mers, les îles, et les navigations de son temps. Toutefois, les voyages de Pantagruel, que ce soit à la recherche de la plus gaillarde des herbes nommée pantagruélion, (Tiers Livre, ch. 49), du côté de Saint-Malo (le chanvre ?), ou à la rencontre des habitants de l’Isle de Papefigues, sont entourés de mystères. L’énigme demeure sur leur localisation exacte. (Voir le Blog ci-dessous : "Arlequin et le chanvre")
Nous savons que le périple suit les côtes de la Méditerranée, et qu'il passe non loin des Isles du moine d’Hyères. Les escales mentionnées font état de vins réputés tel le Frontignan, mais l’ensemble est crypté. Voici ce que raconte Rabelais :
<<Au lendemain matin, rencontrasmes l’isle des Papefigues, lesquels jadis estaient riches et libres, et les nommaient-on Guaillardetz…>> (1552).
DU PANTAGRUÉLION À LA POUTARGUE
Sur la localisation de cette île, nous n’en saurons pas davantage. Faut-il suivre le tortueux Charles Maurras lorsque, ramenant tout à sa patrie provençale, il affirmait que la seule île du littoral méditerranéen produisant des hommes gaillards, riches et libres, ne pouvait être que l’île du Martigues, entre Jonquière et Ferrières, où l’on pêchait depuis le fond des âges la fameuse poutargue, homologue dans l’ordre des produits de la mer du pantagruélion végétal.
L’infirmité de Maurras (il était sourd comme un pot et ignorait la langue des signes) influençait son jugement en matière de gaillardise, lui faisant peut-être confondre la figue et le poisson. Mais il est vrai que l'île Brescon aux Martigues jouissait d'une grande et antique réputation.
Revenons au Quart Livre ; je résume : Un jour de festivité, les notables de Papefigues étaient allés faire la fête dans l’île voisine de Papimanie où l’on se montrait partisans maniaques du pape. Un brave Guaillardetz, avisant le portrait papal érigé en procession, lui aurait fait « la figue »…
JEU DE MAINS, JEU TRÈS VILAIN
Faire la figue au pape est une raillerie grave. On fait la figue en passant le pouce de la main droite entre l’index et le médius, ce qui a une signification obscène bien connue des garçons, vous le savez maintenant. Les Papimanes de l’île voisine se mirent tous en armes, surprirent et saccagèrent l’île des Guaillardetz. Ils tuèrent tous les hommes valides. En outre, ils obligèrent les femmes et les jouvenceaux à reproduire la punition publique inventée à Milan en 1560 par l’empereur Frédéric Barberousse afin de venger l’affront subi par son épouse.
Ci-contre, mosaïque trouvée à Volubilis, d'époque romaine. La chevauchée à l'envers, ou asinade, pourrait être une punition infligée par la communauté. Mais c'est aussi une des facéties des héros populaires, tel Nasr Eddin Odja, grand maître du rire du monde islamique, venu de Turquie ou de Perse, souvent représenté assis à l'envers sur son âne. Ci-dessous à droite, caricature populaire du Mollah Nasr Eddin venue de Turquie.
L’ASINADE (ou Asouade).
L’empereur Frédéric Barberousse s’étant absenté de Milan, alors qu’il était en guerre contre les Lombards et le pape, les Milanais se rebellèrent contre lui, nous dit Rabelais ; ils chassèrent l’impératrice hors la ville ignominieusement montée sur une vieille mule « à chevauchons-de-rebours », à savoir le cul tourné vers la tête de la mule et la face vers la croupière.
L’outrage infligé à l’impératrice par les Milanais est la traditionnelle « asinade », temps fort des rites carnavalesques et des charivaris de Méditerranée. C’est d’ordinaire le rituel imposé aux maris cocus réputés tolérants ; en l'occurrence, il s'agissait toujours d'un âne mâle. À Milan, le bouc émissaire étant une femme, les émeutiers choisirent une mule.
Ci-contre, à droite, gravure du XVIIIe siècle montrant l'asinade. BN. Paris. (cliquer sur les images pour les agrandir).
CHEVAUCHÉE SUR L'ÂNE : ASINADE
L’asinade ne date pas d’hier. La cérémonie humiliante organisée par le groupe de jeunes célibataires d’une communauté est mentionnée un peu partout en Europe. Les chroniqueurs se sont plu à la décrire ou la croquer. D’après Claude Gaignebet, la coutume serait d’origine ionienne : l’ono-batis (Qui monte à l’âne), inventée pour punir l’adultère.
<<Dans ce cas, le véritable martyr est l’âne, qui est exposé à toutes sortes de railleries et de mauvais traitements. De même, le sot mari qui se laissait battre par sa femme était, il y a peu d’années encore, promené ignominieusement sur un âne, dans plusieurs villages du Piémont… >> (Angelo de Gubernatis ; Mythologie zoologique. 1874. p.396)
LA FIGUE , CHICHE !
Rabelais poursuit la description des malheurs imposés aux habitants de l’île des Hommes gaillards (les Martégaux ?), en infligeant aux prisonniers le châtiment ignominieux prétendument inventé par Frédéric Barberousse envers les Milanais. Par son ordonnance, le bourreau mit dans le fondement de la mule une figue (Verte de préférence et point molle. Note de l’éditeur), et obligea les vaincus à extirper publiquement la dite figue avec les dents. Puis la remettre en propre lieu sans l’aide des mains, sous la queue. « Quiconque en ferait refus serait sur l’instant pendu et estranglé », nous dit Rabelais, (Quart Livre, ch. 45).
Ci-contre, à gauche, "Homme montrant la Fica". Auteur anonyme. L'influence du Caravage et de Manfredi dans le tableau indique certaines pistes susceptibles de faciliter l'identification du peintre, qui pourrait être Nicolas Régnier (auteur d'un "Faune/Bacchus faisant la Fica"). Nous pourrions reconnaître dans le modèle un bouffon coiffé d'un béret de commedia dell'arte. Lucca, Musée National. (© Courtesy ).
Ceux des Gaillards qui acceptaient l’épreuve montraient la figue au bourreau en criant « Ecco lo fico !».
À compter de cette querelle désespérée contre les partisans du pape, les habitants de l’île perdirent leur prospérité et leur proverbiale santé en perdant leurs privilèges sur la poutargue. Depuis l’île se nomme, selon Rabelais, Papefigues, "ceux qui ont fait la figue au pape".
Nous sommes libres de douter de l’authenticité du récit attribuant à Frédéric Barberousse l’invention de l’ignominieuse figue. Il n’empêche, l’expression se trouvait dans le langage commun dès le XIIIe siècle ; pour preuve cette chanson du troubadour Raimon de Miraval (rapportée par Raynouard p. 392), où le poète prenait le parti des Provençaux contre les Lombards.
LE GESTE ANTIQUE DE LA FIGUE
L’arbre et le fruit sont sur place depuis le fond des âges. Le nom << fica >> des Italiens renvoie à l’origine du monde. L’Arbre de la Connaissance, qui valut tant de malheurs à nos ancêtres Adam et Ève, ne pouvait être qu’un figuier. Au fait, si le premier vêtement, selon la Bible, était confectionné de feuilles de figuier (Genèse III-7), que faisaient nos ancêtres en hiver lorsque les feuilles tombaient ?
Ce serait aussi sous un figuier que furent trouvés Remus et Romulus suçant les mamelles de la louve. Le nom français figue serait emprunté au vieux provençal « fica » au XIIe siècle, note le Robert. Tous ces mots viendraient d’une famille linguistique méditerranéenne pré-indo-européenne.
Le geste précédant la parole, la fica, le signe de la main-figue, que les garnements font avec leur pouce glissé entre deux autre doigts, est immortalisé dans de nombreuses figurations. Nous en avons déjà montré quelques unes. Le Musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain conserve une plaque en calcaire de facture gallo-romaine où un avant-bras vigoureux exhibe la menace blasphématoire.
Dans des tombeaux berbères et puniques d'Afrique du Nord des bijoux ont été trouvés reproduisant des mains faisant la "figue".
Ci-contre, à droite, Main de Fatima, la Khomsa, bijou de protection contre le "mauvais oeil".
Notez que ce geste de faire la Figue est inconnu dans l'islam. Cette remarque nous renvoie aux "mains de Fatima" dont nous parlons à propos des peintures préhistoriques : cliquez "La Baume Latrone".
Des amulettes en bronze d'époque romaine trônent nombreuses dans les vitrines des musées représentant l'organe masculin. Certains de ces pendentifs sont, en outre, agrémentés d'un avant-bras faisant la "figue" et d'un phallus. Ce sont des "contre-charmes", des talismans de protection contre le mauvais oeil, ainsi que nous l'avons vu au début du sujet.
Dans la Province de Bergame, sur le mur d'une chapelle médiévale, une fresque de 1485 attribuée à Giacomo Borlone de Buschis, représente la "Danse macabre". Le geste de la Figue se reconnaît dans plusieurs scènes populaires de la décoration. Coïncidence peut-être, mais il est amusant de noter que le pape dont le corps est dans le sépulcre est celui de Sixte IV della Rovere, accompagné des feuilles de chênes de son blason !
Quelques tableaux de maîtres reproduisent ce langage du geste insultant adressé au Christ, et la "fica" n'est pas oubliée. Nous avons noté que les peintres baroques caravagesques du XVIIe siècle nous ont laissé plusieurs oeuvres anonymes. Un autre tableau reproduit ci-dessus, "Homme faisant le geste de la Fica" est attribué au parage de Bartolomeo Manfredi.
Ces oeuvres seraient à classer avec d'autres dans le registre de l'influence de la Commedia dell'arte sur la peinture du XVIIème siècle, évoquant la Rome des artistes contestataires, que nous abordons plus loin. Et peut-être aussi de l'influence du courant de protestation qui va s'épanouir avec Luther.
Ci-dessous, reproduction d'un tableau du XVème siècle, peu connu, illustrant la prophétie de Luc : << Il (le Fils de l'homme) sera livré aux mécréants, moqué, outragé, conspué...>>, (Luc, 18-31).
Ci-dessus, détail du tableau peint vers 1400 par le "Maestro della Madonna Strauss". Le christ est entouré de la Vierge et de Marie-Madeleine. Il subit les outrages de la Passion. De nombreuses mimiques de tortures sont répertoriées, avec les gestes d'insulte. Sous le bras de la croix, entre l'épaule gauche de Jésus et les tenailles, le geste digital de moquerie et d'humiliation, la "fica", est figuré. Musée de Florence. (Photo Lyèce Boukhitine).
Ci-contre, à droite, détail de la fresque de la "Danse macabre" de Clusone, Italie. 1485. Attribuée à Giacomo Borlone de Buschis. La sépulture figurée, qui est l'objet de cette Danse macabre, est curieusement celle du pape Sixte IV Della Rovere. (©courtesy).
Mais la plus ancienne reproduction de la fica antique est celle que nous produisons ; elle était à ce jour inédite. C’est cette sculpture provenant d’un célèbre site méditerranéen d’époque romano-berbère de Tripolitaine (Libye).
Fixé dans la pierre, le geste contre le mauvais oeil, doublé de la représentation réaliste de l’objet menaçant, s'annonce en fort relief, proche de la ronde-bosse et solidaire d’un bloc de calcaire, où l’on distingue un avant-bras droit, grandeur nature, et une main qui « fait la figue ». À l’opposé des doigts, la sculpture se termine non par le coude mais par un phallus, ou plus justement, pour rester dans le domaine latin, par un fascinus. Cette représentation doit dater du 2 ème siècle de notre ère.
La photo ci-contre, à gauche, à été prise en 1998 ; elle complète les précédentes. Cette sculpture complexe dont on comprend mal la destination première, n'avait jamais encore été publiée. Elle se trouvait au moment de sa découverte dans les buissons non loin de la plage. Elle est l'un des trésors archéologiques de la Libye et se trouve en grand danger de mutilation. — Comme le furent les Hermès d'Athènes, si l'on en croit Thucidide (Guerre du Péloponèse VI-27) —. Le temps de Carnaval ne se prêtant guère aux gloses savantes, pas davantage que le temps des guerres civiles, n'en disons pas plus.
(Photos Jean-Marie Lamblard) . Cliquer sur les images pour les agrandir.
(Les suites II à IV, "Geste de la Figue"... Ci-après)
Voir l'influence de la Commedia dell'arte sur les peintres du XVIIème siècle : (Cliquer ! ici)
(Remerciements : Merci à Françoise Bader ; Claude Sintes ; Lyèce Boukhitine ; Jean-Pierre Baquié.
- Consultez l'excellent blog d'Agnès Giard qui présente à sa façon "Faire la Figue" : Agnes Giard
CONTACT : Jean-Marie Lamblard ; <[email protected]>