CHARLIE-HEBDO ET LE PRÉTENDU BLASPHÈME...
(Théodore Monod ou le Hippie du désert)
<< Nous sommes Charlie ! >>
Ci-contre, à droite, extrait de la revue de presse de WILLEM, tenue dans le périodique "L'HEBDO HARA-KIRI", du lundi 9 novembre 1970.
Le numéro 1 de "CHARLIE-HEBDO" ne paraîtra que le lundi 23 novembre 1970. Ci-contre, à gauche, la première page du numéro un de "Charlie-Hebdo".
Un aveugle et sa canne blanche : "Liberté de la presse ? Vaut mieux entendre ça que d'être sourd !".
L'éditorial nous apprendra que l'Hebdo Hara-Kiri était mort debout (comme les éléphants disait Reiser) ; mort face à un désastre financier.
L'éditorial de Cavanna détaille les techniques usitées en ces années, par les gouvernements, pour assassiner un journal.
Pour mémoire, Hara-Kiri avait rédigé la une de son numéro du 16 novembre 1970 de ce titre, jugé blasphématoire par le pouvoir, << Bal tragique à Colombey : 1 mort >>. La naissance de Charlie-Hebdo est liée à cette mort tragique. (J-M. Lamblard)
(Cliquer sur les photos pour agrandir les images).
Ci-dessous, à gauche, carte postale, datant de 1985, Netherlands.
C'est dans les pages des premiers numéros de "Charlie-Hebdo" que Willem a continué la publication de l'enquête sur le monogramme des "Non-Violents" !
(Ci-dessous, reproduction du texte écris il y a une quinzaine d'années, en hommage à Théodore Monod (mis en ligne par la suite). Qu'il serve aujourd'hui de lien vers l'équipe artistique et professionnelle de Charlie-Hebdo. Cliquer).
L’air du temps est un souffle irrationnel qui soulève parfois d’étranges réminiscences. Récemment, nous avons vu la jeunesse, celle qui refuse et proteste, défiler de nouveau en arborant le symbole des non-violents (insigne rond avec une barre verticale au centre et deux petits étais de part et d’autre, en bas, formant ainsi une sorte de patte d’oiseau).
Une figure de lettre "psi" faisant l’arbre-droit ?
Quel rapport avec Monsieur le Professeur Théodore Monod ?
Voici :
Cet emblème des "non-violents" formait le centre de son blason, il en constituait la pièce maîtresse…
Ceux qui ont connu le savant les dernières années de sa vie, presque aveugle, ont remarqué qu’il portait sa canne blanche décorée d’un médaillon découpé selon ce symbole pacifique.
Cette canne blanche lui avait valu, un jour qu’il reprenait son souffle accoudé à la balustrade d’une entrée de métro, non loin du Muséum, une aumône glissée dans sa main par une dame charitable.
Théodore Monod ne se mettait pas en frais de représentation. Peut-être portait-il ce jour-là le même jean avec lequel il avait parcouru le Yémen quelques mois auparavant ! La canne blanche avait attiré la compassion d’une bonne âme.
<< Tsss ! bougonna-t-il, quant à faire la charité on ne devrait jamais donner moins de 10 francs !…>>
La dame n’en a rien su. Et la piécette a dû rejoindre les innombrables curiosités sur les étagères de son laboratoire.
Ci-dessus, Théodore Monod à Paris avec sa canne blanche, (photo J-M Bel).
Théodore Monod s’en est allé découvrir l’autre rive (il est mort le 22-11-2000).
Je le connaissais peu. C’était pourtant lui qui m’avait accueilli la première fois au Muséum. La seule occasion où j’ai pu lui parler longuement, ce fut avant le départ d’un cortège de manifestants opposés à la bombe atomique.
Je remarquai qu’il arborait l’insigne des non-violents que l’on était accoutumé à voir sur la poitrine des hippies d’avant 68.
Connaissait-il ce que représentait cet idéogramme ? Savait-il, lui l'éternel décrypteur, son origine ?
La suite de l'article ci-dessous :
De Théodore Monod à Charlie-Hebdo.
Non, Théodore Monod ne savait pas au juste l’origine moderne du dessin ; ni moi non plus, évidemment.
<< Personne n’en sait rien… Faites donc une petite enquête là-dessus et venez me raconter la suite… >>
Professeur Monod vous ne manquiez pas une occasion d’encourager la recherche !
Je n’ai pas tenu ma promesse. Le monogramme des non-violents demeura parmi les innombrables projets en attente. La cause sortait de l’actualité.
Ci-dessus, Théodore Monod en Afrique. (collection J-M. Bel).
Pourtant, il faut toujours payer ses dettes, même si, avec le temps, la monnaie perd sa valeur.
Théodore Monod est mort le 22 novembre 2000 sans rien abandonner de ses engagements. Il aura porté jusqu’au dernier jour l’énigmatique signe de la paix avec lequel, chaque année, il allait manifester contre la bombe atomique sur le pavé parisien en compagnie d’Albert Jacquard.
Théodore Monod avait fait broder son blason sur un grand drap : au pied de la croix christique se voyait l’insigne des non-violents comme si cet emblème à trois branches en aurait été la souche et la racine. Le vieil homme réinventait ainsi l’arbre de vie immémorial en accrochant aux rameaux les symboles des cinq grandes traditions religieuses de l’humanité ; l’arbre de vie qui prend sa source dans la paix et l’amour. Une belle utopie.
À droite, le "blason" dessiné par Théodore Monod, pour lui servir de "carte de visite".
C’est ce drap blasonné qui a recouvert son cercueil pour son dernier voyage. C’est ainsi qu’il est sorti du temple de l’Oratoire du Louvre, ce jour de novembre, enveloppé d’un poêle sans cordon portant les armes d’un frêle chevalier. Aujourd’hui, ce voile d’espérance arborant l’insigne des contestataires lui tient lieu de suaire.
Étrange destin des images, après avoir été la marque des opposants à l’ordre établi, des insoumis et des libertaires adeptes du slogan « Faites l’amour pas la guerre », ce cryptogramme dominait la dépouille du professeur Monod au parvis d’un temple très chrétien, entouré des ministre du culte et de la République.
Sa dépouille a été légère à ceux qui l’ont aimé, tant il avait usé sa peau et ses yeux à la pierraille et au soleil.
Que pèse son absence ?
J’aurai passé ma vie à vénérer les maîtres que je n’ai pas eus.
Ci-contre, à droite, Théodore Monod en 1998, à Anthy. (Photo collection Cyrille Monod). On peut agrandir l'image en cliquant sur la photo.
PEACE AND LOVE
Mon ami C. a voulu corriger mon interprétation ornithologique en affirmant que le symbole « peace and love » en question n’est en rien une patte d’oiseau, mais qu'il est bien l’idéogramme de l’acte d’amour.
Chacun voit midi à sa porte...
Alors qu'il était hippie, C. se souvient d’avoir découvert du côté de Palo Alto, alors qu’étudiant fauché il parcourait les États Unis, dans la pièce commune d’un phalanstère de non-violents, un grand signe en bois sculpté dont les branches de la croix centrale n’étaient pas stylisées mais explicites : un couple dans l’acte d’amour, l’homme allongé, la femme jambes écartées… Bon…
Sacré hippie.
SYMBOLE DES NON-VIOLENTS
Alors, que signifie ce symbole des non-violents ? Quelle est son origine ?
Pour le coup, posant une telle question, nous devrons faire œuvre de préhistoriens aux yeux des classes d’âges nées après 1968.
Puisque la publicité contemporaine ne répugne pas à récupérer cette image pour évoquer un état d’esprit contestataire désuet ou ludique (qui peut dire le rôle d’avilissement des valeurs dans les mentalités par la publicité commerciale ?), j’ouvre une dernière fois ce vieux dossier.
Sans prétendre épuiser le sujet, voici ce qu’on peut en dire.
Ce sera mon hommage à Théodore Monod, une fleur de pissenlit ramassée au penchant d’un fossé et posée sur son tombeau.
Autour de 68, ce signe était étroitement associé à la jeunesse « contestataire » qui avait rêvé de faire craquer le vieil ordre social. Puis, les années passant, il devint la marque des mouvements pour le désarmement et la paix.
Lorsqu’on interrogeait ceux qui l’arboraient, on recueillait de multiples réponses :
- C’est la silhouette d’un bombardier ;
- Un homme qui tombe, la tête en bas ;
- Un couple faisant l’amour ;
- Une tête de mort stylisée ;
- Le lambda grec pour « liberté » ;
- Les bras abaissés en signe de non violence ;
- Une patte d’oie…
Ci-contre, à droite, tract des années 1970, diffusé par le Mouvement pour le Désarmement, la paix et la Liberté (MDPL).
LES RESSOURCES DE CHARLIE-HEBDO
Pour pénétrer l’histoire des mentalités hexagonales, il existe une mine de données ayant valeur de source incontournable où décrypter les codes de cette époque : Charlie-Hebdo !
Dans la chronique tenue par Willem pour l’année 1970, on relève un grand nombre de courriers de lecteurs qui souhaitent apporter leur témoignage sur l’origine du symbole des non-violents.
Théodore Monod et J-M. Bel dans les ruines d'une "Tour du Silence" à Aden au Yémen. Ce vestige de la religion mazdéenne atteste de la vigueur des populations "Parsi" du Yémen venues de Bombay au XIXe siècle. ( Voir l'article consacré aux "Tours du Silence". Cliquer).
En résumé des pages de Charlie-Hebdo, on peut avancer que l’emblème en question fut dessiné le 21 février 1958 par Hugh Bock et Pat Arrowsmith, pour la première marche contre la guerre nucléaire à Aldermaston en Angleterre. Ce signe a été inventé à partir des caractères « N » (Nuclear) et « D » (Disarmement) selon le code du sémaphore à bras… Cette explication me semble tout à fait vraisemblable. Merci Willem.
En France, au cours des premières années de la décennie 70, le MDPL (Mouvement pour le désarmement, la Paix et la Liberté), distribuait un tract où trônait ce symbole avec l’explication suivante : « Le cercle représente la protection de l’enfant à naître. À l’intérieur du cercle, la silhouette humaine, tête en bas, représente l’homme en péril. »
MARQUE DE L’OUTARDE
Pour ma part (et ce sera ma contribution au dossier), je constate que cet emblème est identique au pictogramme universel, venu du fonds des âges, composé de trois traits en éventail, que les ethnologues appellent la « marque de l’outarde » parce qu’il ressemble à la trace laissée dans le sable par la patte de cet oiseau, lequel ne possède pas le quatrième doigt vers l’arrière.
Dans l'ancienne France, c'était le "pié de grue" que l'on retrouve aujourd'hui dans le mot "pedigree" venue de l'anglais... En Pays d'Oc, on disait "Pe d'auque" (pied d'oie), et cette marque en forme de patte d'oiseau servait à désigner les lépreux.
Ce signe en "pied d'oiseau" se reconnaît, entre autres, dans les idéogrammes Bambara pour représenter une personne morte, alors que, inversé, il représente la vie, les bras levés.
Faut-il croire aux transmissions inconscientes, aux migrations fertiles ? Sur la signification pacifique et non-violente de ce dessin en forme de patte d’oiseau, il existe une légende qui court dans les traditions orales d’Afrique septentrionale. En voici une version attestée au Sahara algérien :
Pour les Maures et les Touareg, l’outarde est « Oiseau du Paradis », messager des hommes auprès d’Allah. Dans la région du Trarza, les nomades mauritaniens expliquent la présence de la « marque de l’outarde » (dessin laissé sur le sol par la patte de l’outarde) brodée si souvent au sommet des tentes, par ce récit :
<< Un émir de la tribu des Oulad Rizg avait une réputation de méchanceté, d’oppresseur des faibles et de soudard impitoyable. Après le rezzou, il gardait tout le bétail volé et ne le partageait jamais avec ses guerriers. Cet émir n’avait qu’un amour sincère : son fils.
Celui-ci possédait une petite outarde apprivoisée qu’il aimait beaucoup. Or, un jour, elle se perdit en brousse. L’enfant pleura et son père la fit rechercher par ses meilleurs pisteurs sans succès.
Toutefois des gens qui venaient d’être pillés par l’émir, les Oulad Deïman, découvrirent l’outarde, s’en emparèrent, lui glissèrent un collier d’argent autour du cou et, très habilement, vinrent la rendre à l’émir.
Le fils pleura de joie et le père en fut si content qu’il s’écria :
<< Dès aujourd’hui, vous pourrez broder la trace de l’outarde sur vos tentes, celles-là me seront sacrées et je ne les pillerai plus ! >> L’émir cessa de faire la guerre >>.
C’est Jean Cabus qui a recueilli cette histoire (Musée ethnographique de Neuchâtel).
Étrange rémanence d’un symbole. Les hommes à leur insu transporteraient-ils des représentations mythologiques, comme les moutons véhiculent dans leur laine des graines qui vont ensuite germer sur les bords des chemins de transhumance, à cent lieues à la ronde ?
Voici que la boucle est bouclée, et merci Charlie-Hebdo !
Cher Théodore MONOD, peu importe au fond l’identité de l’image que vous portiez, c’était la marque de ceux qui n’acceptent pas, des parias de l'ordre bourgeois et des Libertaires. D’autres reprendront le symbole. On le verra éclore de nouveau, ailleurs, faible lueur de balise pour nous guider sur le chemin des hommes.
Mon ami le hippie avait raison, il s'agit toujours d'un acte d'amour.
Paris, novembre 2000.
Jean-Marie Lamblard. jmlamblard@wanadoo.fr
Ci-contre, à gauche, dessin de PLANTU, publié dans Le Monde le 11 janvier 2015, et revisité par l'écrivain poète d'expression occitane Guy Mathieu.