SON HISTOIRE, DU MYTHE AU MINARET
En résumé :
Les riverains de la Méditerranée n’attendirent pas les Ptolémée pour bâtir des "tours à feu" ou des vigies sur leurs côtes en accompagnement de leurs ardeurs maritimes ; mais ces balises restaient de modestes constructions à usage local.
En ce temps-là, Alexandrie, foyer des connaissances et des arts, patrie d’adoption des savants et des poètes, se devait d’attirer les regards en construisant un monument emblématique prodigieux.
Ce sera, à l’entrée de son port, la tour à feu la plus haute, la plus belle jamais imaginée. L’érection d’un fanal pour guider les pilotes, mais aussi un signal indiquant aux nations le nouveau foyer des Lumières.
Le mirador-vigie implanté sur l’île de Pharos, tel un Veilleur, s’inscrira dans la mémoire des hommes comme une merveille du monde voulue par les souverains hellénistiques.
À l’émergence de la religion du Christ, de nouveaux symboles apparaîtront au sein de la culture classique, dans les foyers de civilisation où s’élabore l’humanisme chrétien, vers le IIIe siècle.
Un poisson, une ancre, une nef parfois, suffiront aux adeptes pour signifier leur foi nouvelle. Un navire poussé par le vent, guidé sur la lumière d’une tour à feu, sera également un sceau secret que choisira le fidèle du Christ.
Le poisson du Zodiaque devient ainsi symbole mystique par l’acrostiche grec «ichthus » désignant le Pêcheur d’hommes. Un phare représentera le port céleste auquel aspire l’âme humaine embarquée sur le navire de la vie.
À l’arrivée de l’Islam, le Phare d’Alexandrie s’inscrira logiquement dans le patrimoine des Arabes. Un siècle après l’Hégire, des lieux de culte musulmans seront dotés d’un mirador d’où le muezzin lancera ses appels à la prière.
Des « minarets » (selon la racine noûr, lumière), bâtis sur l'exemple du Phare, inviteront les Croyants à se tourner vers la révélation. Le Phare porte-feu devient alors «manâra » (tour de lumière).
En Provence, sur le rivage près d’Hyères, la topographie se souvient d’un antique phare à l’endroit où la tradition situe une implantation andalouse : l’Almanarre.
Et à Périgueux on raconte que le clocher de la cathédrale romane de Saint-Front aurait été bâti au XIIe siècle selon le plan du Phare d’Alexandrie…
Voici quelques pistes pour aborder notre dossier du Phare sous une lumière renouvelée !
Ci-contre, à gauche, mosaïque paléochrétienne découverte récemment en Libye. Provenant de l'église de l'évêque Makarios, datée de 539 de notre ère. Ce tableau de pavement représente le "PHAROS" selon la mention en grec. La statue sur le sommet du phare est une représentation d'Hélios, l'autre personnage est plus énigmatique. (Photo J-M. Lamblard)
(Ci-dessous, à droite, épitaphe de Firmia Victoria, avec une tour à feu et un bateau, provenant du cimetière de la Vigne des Eustaches. Époque paléochrétienne. Musée lapidaire, Cité du Vatican. L'image d'un "phare" (imaginaire) est une allusion claire au salut éternel promis aux Chrétiens.) Les photos peuvent être agrandies en cliquant sur l'image.
Des Lumières et des Phares
Les Lumières de l’Alexandrie ptolémaïque éblouirent le monde. Sur place, il n’en reste quasiment rien ; quelques pierres au fond des eaux turbides du port, des blocs que l’on remonte sous l’œil des caméras pour appâter le touriste.
La Bibliothèque et le Musée brûlèrent, les palais n’existent plus, le tombeau d’Alexandre demeure introuvable ; il était déjà ignoré à l'arrivée des Arabes. Heureusement, il y a la ville et ses habitants, lesquels ne se préoccupent qu'occasionnellement du passé.
Quant au célèbre Phare, on ne sait pas grand-chose du monument originel, sinon qu’il a existé et qu’il fut ajouté aux Sept Merveilles du monde. Ce serait Philon de Byzance (IIIe siècle avant notre ère) qui en aurait dressé la première liste : « De septem orbis miraculis » ; classement repris et vulgarisé durant l’Antiquité tardive en y rajoutant le Phare.
Prodiges d’architecture, prestigieux symboles d’un pouvoir disparu, de ces sept monuments seules les Pyramides résistèrent au temps.
En ce qui concerne «Pharos », ce nom propre attaché à un îlot égyptien devenu un nom courant, Pharus puis phare, attribué aux tours à feu utiles au guidage des marins, il pourrait symboliser le destin des mots lorsqu’ils accompagnent l’imagination des hommes sur le chemin des Lumières.
Notons ici que le nom commun des "tours à feux" utilisé sur les côtes méditerranéennes du golfe du Lion depuis le Moyen Age, en langue occitane, est "FAROT". Un farot est un signal optique utilisant le feux la nuit et la fumée le jour afin de signaler les navires suspects. Ce mot se retrouve dans la toponymie provençale.
Ci-contre, à droite, monnaie attribuée à Antonin le Pieux (vers 150 de n. ère), censé représenter le mythique Phare d'Alexandrie.
La légende alexandrine
Le mythique Phare d’Alexandrie est également emblématique de la fascination qu’exerce encore sur l’imaginaire des Méditerranéens le nom du conquérant macédonien et de sa ville égyptienne.
Pourtant, Alexandrie n’est qu’une fondation coloniale voulue par un despote flamboyant au destin inouï.
Si l’on en croit les mémorialistes antiques, Alexandre fonda au cours de son entreprise fulgurante une soixantaine de villes et fortins, auxquels il donna son nom ou celui de son cheval. Les historiens modernes parviennent à retrouver l’emplacement d’une douzaine de ces Alexandrie, ou Bucéphala, remontant au Conquérant.
Ci-dessus, à gauche, Alexandre le Grand, musée de Pella, sculpture idéalisée, d'époque hellénistique. (Photo Lamblard)
Le plus célèbre de ces établissements demeure Alexandrie à la commissure des bouches du Nil, en lisière d’Egypte comme on disait en ces temps-là.
Prédateur modèle et archétype des conquérants à venir, stratège politique génial, Alexandre le Grand et son épopée impériale, s’achevant par la mort du héros en pleine jeunesse, occulte l’extraordinaire destin des Ptolémée, père et fils, véritables fondateurs d’Alexandrie et constructeurs du Phare.
Nous savons qu’à la mort du prince macédonien, survenue à Babylone au début de l’été 323 avant notre ère, le général Ptolémée, fils de Lagos et compagnon de jeunesse d’Alexandre, s’appropria la satrapie d’Egypte au démembrement de l’Empire.
Puisque légende alexandrine il y a, portons ses prémices à la lumière : la dynastie des rois de Macédoine se disait issue de la race d’Héraclès par les pères, et d’Achille selon une filiation matrilinéaire. Ainsi, ces princes se voulaient descendants de Zeus, et bâtards de Dionysos pour faire bonne mesure, afin de contrebalancer le mépris des véritables Hellènes à leur égard.
Alexandre fut élevé dans le culte d’Homère et des héros de la Mythologie. Il eut pour précepteur Aristote le « Prince des philosophes », l’Iliade était son livre de chevet.
Au temps de la naissance d’Alexandre, en 356 avant notre ère, les Grecs n’ignoraient plus le pays d'Egypte réel. Des mercenaires cariens et ioniens servaient dans l’armée de Pharaon, et les négociants étrangers disposaient d’un emporion à Naucratis sur la branche canopique du Nil ; ce comptoir de Naucratis fonctionnait depuis plus de deux cents ans. Déjà Hérodote, vers 445, avait pu mener une enquête approfondie le long des rives du Nil et dans les principaux centres religieux égyptiens.
Ruines du sanctuaire d'Amon de Siouah où l'on venait de tout le bassin méditerranéen pour consulter l'oracle. (Photo Lamblard)
À ses origines, l’Egypte pharaonique ne se tournait pas volontiers vers la Méditerranée. De tout temps, l'Egypte bouda la "Grande-Verte" pour s’ouvrir au Sud d’où provenaient ses richesses et les eaux fertiles. Foncièrement africaine, l’Egypte connaissait mieux la mer Rouge et ses rives arabiques, elle ouvrait ses ports à des navigations orientales et lançait ses explorateurs vers la terre des Nubiens.
Au nord, ses côtes méditerranéennes et son delta n’abritaient que des postes de douane et des guettes. Depuis la dynastie des Saïtes, un débarcadère, situé précisément dans la rade où serait bientôt fondée Alexandrie, recevait les négociants des Cyclades et du Levant, attirés sur cette terre par les récoltes égyptiennes et les denrées exotiques arrivant d’Afrique Noire.
Hérodote mentionne la Tour du Guet de Persée : le cap d’Aboukir, ou bien Rosette ?
Un pilote grec nommé Pharos
La Méditerranée depuis des temps immémoriaux était parcourue par des bateaux de négoce allant de cap en cap ; et les cadets en surnombre des cités ioniennes prenaient le large pour immigrer vers les terres barbares. Avant d’être le berceau de la cartographie marine, la Méditerranée vit naître le périple et le portulan, ce dernier n’étant que l’aide-mémoire du pilote portant la liste des repères côtiers et des amers.
Nous évoquions le légendaire, n’en sortons point. Le pilote grec de Ménélas, qui ramena Hélène après la guerre de Troie, s’appelle Pharos. Il fut piqué par un serpent sur une île non loin de la côte septentrionale d’Egypte, laquelle île depuis ce drame porte le nom du pilote. L’Odyssée la mentionne : (IV-354).<< Il est en cette mer des houles, un îlot qu’on appelle Pharos, par-devant l’Egypte féconde… >>
Les ruines d'époque pharaonique surplombent l'oasis de Siouah. Le temple d'Amon où Alexandre est venu consulter l'Oracle sur sa naissance divine ; au centre des ruines, un minaret. (Photo Lamblard)
Ce nom du prétendu pilote de Sparte n’est pas de racine grecque mais égyptienne, et la racine Pharos sera à l’origine de notre "phare". Lesquels phares seront implantés sur les rivages pour venir en aide aux pilotes… Merveilleux destin des mots.
Toujours selon d’autres sources grecques, la ville de Canope qui donne son nom à la branche occidentale du delta du Nil, devrait son appellation à un autre pilote : Canopos, qui aurait conduit Ménélas en Egypte et aurait séduit la fille de Protée seigneur de Pharos…
Canopos ou Pharos, les conducteurs de navires sont les héros célébrés précisément au moment de l’expansion coloniale des cités grecques, et les mythographes n’hésitent pas à naturaliser les noms indigènes pour les entraîner dans leur sphère grecque.
Les Perses occupaient la riche Egypte
Voici donc le jeune Alexandre sur les traces d’Achille se lançant à la conquête du monde habité. Il a 24 ans lorsqu’il met ses pieds légers en terre égyptienne, la tête pleine de récits fabuleux que sa mère et ses maîtres lui contaient.
En 341, Artaxerxés III, roi de Perse et conquérant de Mésopotamie, s’était attaqué à l’Egypte en mettant fin au règne du dernier souverain de souche nilotique, Nectanebo II. Cette seconde occupation perse allait durer neuf années, jusqu’à la victoire d’Alexandre.
Les troupes gréco-macédoniennes arrivèrent en Egypte à Péluse sur la côte est du delta, en octobre 332 avant notre ère, sans grands combats. L’occupant perse n’était pas aimé, et la puissance du Grand roi Darius bien affaiblie.
Trois ou quatre mois après son triomphe sur les Perses, Alexandre se rend sur la grève à hauteur de l’îlot de Pharos pour arpenter le mince bandeau littoral adossé au lac Maréotis. Gravissant ce « taenia » de sable et de roches arénacées formant un isthme aride, Alexandre et son entourage de généraux, de géographes, mathématiciens et architectes, choisissent l’emplacement de la future capitale de l’Egypte conquise, la nouvelle possession macédonienne.
Ci-contre, miniature extraite de l'"Histoire des prophètes" montrant Alexandre le Grand dirigeant la construction du mur devant séparer les peuples de Gog et Magog selon le Coran (XVIe siècle), Istanbul.
La forteresse du roi Alexandre
Profondément religieux, sensible aux révélations surnaturelles, Alexandre n’entreprenait rien d’important sans écouter ses «voix».
Le choix de l’implantation résultait d’un rêve au cours duquel un vieillard lui avaient récité les vers d’Homère désignant Pharos.
Face à la mer, ouverte sur les routes méditerranéennes (et non pas tournée vers l’Afrique), la nouvelle Alexandrie s’affirmait, dès le tracé de son rempart, le centre d’une thalassocratie émule des grandes métropoles, et de Rhodes en particulier.
Laissant à peine aux vols des oiseaux le temps de dicter leurs augures touchant au devenir de la ville, Alexandre, accompagné d’une fraction de l’armée sous la conduite de Ptolémée, se met en marche vers l’Ouest à travers le désert libyen.
C’est un pèlerinage que le jeune roi entreprend. Il se rend à l’oasis de Siouah proche de la Cyrénaïque où prophétise un oracle réputé dans tout le monde habité, l’oracle d’Amon.
Amon-Zeus de Siouah
Amon est le roi des dieux, la plus grande divinité honorée en Egypte ; les Grecs l’assimilent à leur Zeus. Il est le « Caché », dieu de l’air et de la fécondité. Son animal symbolique, le Bélier, porte le soleil sur sa tête. La religion égyptienne représente parfois Amon sous les traits d’un homme à tête de bélier, et toujours avec deux grandes plumes, symbolisant le vent, dressées sur sa coiffure.
Amon règne à Thèbes et à Koush. Son épouse est Mout la déesse vautour.
Le mythe de la théogamie royale selon lequel le souffle d'Amon féconde la reine et lui donne un fils spirituel est connu à Karnak. C’est une prophétie de cette nature qu’Alexandre vient recevoir de la bouche du grand prêtre dans le temple de l’oasis de Siouah. Et c’est ainsi qu’Amon-Zeus va lui parler : << Roi Alexandre tu es bien fils de Zeus !… >>
Ci-dessus, à droite, temple et sanctuaire d'Amon de Siouah où Alexandre le Grand interrogea le Dieu sur son père divin, et sa légitimité à devenir pharaon d'Egypte. (Photo Lamblard).
Nous sommes au cœur de la légende dorée alexandrine. Nous devons le récit de la révélation oraculaire à Ptolémée fils de Lagos, qui consignera ses mémoires.
D’autres hagiographes, tel Aristobule, raconteront les péripéties du voyage à Siouah et les errances du héros à travers le désert guidé par deux serpents ou protégé par des corbeaux.
Alexandre, pharaon d’Egypte et de l’univers
Le fils putatif de Zeus-Amon peut quitter l’oasis satisfait, désormais il se sent investi d’une mission pour régner sur la terre entière. Il se rend à Memphis afin d’y être intronisé pharaon d’Egypte, et repart aussitôt, à la fin de l’année 331, pour attaquer et vaincre Darius III à la bataille d’Arbèles en Assyrie.
Le séjour d’Alexandre en Egypte aura duré moins d’une année. Il n’y retournera jamais. Le 10 juin 323, il meurt à Babylone.
Lors du partage de l’Empire entre les Héritiers, Ptolémée fils de Lagos s’adjuge la satrapie d’Egypte et la dépouille du roi.
L’enfant de Philippe de Macédoine, et d’Olympias fervente de Dionysos, reconnu fils spirituel du dieu Zeus-Amon, va entrer dans la légende des siècles sur les trois continents.
Dès la mort d'Alexandre, sa vie aventureuse est racontée par des poètes qui l'ornent d'épisodes merveilleux. L'Orient arabe s'empare du héros et produit le fabuleux "Livre d'Iskandar".
Ferdousi dans le "Livre des Rois", épopée iranienne, vers 1005, adoptera Alexandre vainqueur des perses en le nommant Iskandar. L’Europe médiévale se délectera de ses prouesses et se laissera bercer au rythme des "alexandrins".
Tandis que la Bible enregistre les exploits d’un conquérant prodigieux et cruel (Maccabées I, et Daniel XI-3).
À gauche, miniature persane du XVe siècle représentant Alexandre agenouillé devant la caverne du vieil ermite selon le "Roman d'Alexandre" de Nezâmi, poète soufi du XIIIe siècle, Afghanistan.
Au Coran, Celui des deux cornes
La gloire d’Alexandre, couronné dieu et pharaon d’Egypte, va ressurgir superbement dans la révélation dictée par Allah au prophète Mohammed. Dans la Sourate, La Caverne des sept Dormants : << On t’interrogera, Ô Muhammad, au sujet de Dhu-l qarnayn. Réponds : Je vous raconterai son histoire. Nous affermîmes sa puissance sur la terre, et nous lui donnâmes les moyens d’accomplir tout ce qu’il désirait, et il suivit une route. Il marcha jusqu’à ce qu’il fût arrivé au couchant du soleil… >>
(XVIII-82-84 ).
Dhu-l Qarnayn se traduit par « le Possesseur des deux cornes », ou « le Père bicornu », c’est-à-dire Alexandre le Grand.
Les deux cornes en question étant les cornes du Bélier d’Amon, devenues les attributs symboliques d’Alexandre (avec le scalp d’éléphant évoquant ses conquêtes indiennes). Les Latins écrivaient Ammon, d’où ammonite pour les mollusques fossiles à coquille enroulée comme une corne d’ovin.
À gauche, tétradracmes à l'effigie d'Alexandre, le "Maître des deux cornes" du Coran. Monnaies de Lysimaque, vers 290 avant notre ère.
En 640 après Jésus-Christ, lors de la conquête arabo-musulmane d’Egypte, le calife Omar envoya ses cavaliers reconquérir Alexandrie, la ville fondée par le Grand Dhu-l qarnayn, et en chasser les Infidèles byzantins, selon une logique qui n’apparaît peut-être pas au premier regard…
La monarchie des Ptolémées
Alexandre disparu, Ptolémée monte sur le trône d’Egypte sous le nom de Ptolémée Ier Sôter (Sauveur). Il fonde en 304 avant notre ère la dynastie Lagide qui perdurera jusqu’à la disparition tragique de son dernier représentant masculin, Ptolémée de Maurétanie ( fils de Juba II, et de Cléopâtre Séléné), assassiné par ordre de Caligula à Lyon en 40 de notre ère.
Ce sont les Lagides qui vont perpétuer la gloire d’Alexandre le Grand et asseoir sa légende où il est assimilé au dieu soleil Hélios. Et c’est à Alexandrie que s’élaboreront les poèmes dont l'Orient et l’Occident feront leur miel, lesquels exploits inspireront les conquérants en herbe, Hannibal, Bonaparte et bien d’autres.
Les monuments d’Alexandrie sortent de terre sous les directives de Ptolémée Ier.
Fortifiée et dotée d’arsenaux, de ports bien protégés, la nouvelle ville se veut en marge de l’Egypte millénaire mais face au monde grec comme la capitale d’une monarchie militaire solidement retranchée dans sa rade.
Sans le génie des deux premiers souverains macédoniens, le père et son fils, qui surent transcrire dans leur politique architecturale l’héritage platonicien et les leçons d’Aristote, jusqu’à faire de leur place forte une métropole au rayonnement universel, Alexandrie n’aurait été qu’une simple thalassocratie concurrente de Rhodes, et un comptoir enrichi. Elle devint un centre de culture universel et un foyer de civilisation.
Ptolémée II Philadelphe (285-246) appellera auprès de lui soixante-douze exégètes de la Bible hébraïque, venus de Jérusalem, pour élaborer une version grecque de la Thora. Enfermés, dit-on, pendant 72 jours d’isolement dans l’île de Pharos, ces savants produiront chacun, miraculeusement identique, leur traduction des livres sacrés. Ce sera la première Bible grecque connue, la Septante.
L’île de Pharos se voulait Phare d’érudition avant la lettre.
Ci-contre, Bélier du dieu solaire Amon du Barkal, au Soudan, devant la montagne sacrée. De Siouah aux temples du Djebel Barkal, le culte d'Amon, figuré sous l'image du bélier, a dominé la vallée du Nil. (Photo Lamblard)
Alexandrie émule de Rhodes
Grâce aux richesses des pays conquis, les premiers souverains Lagides vont bâtir une fabuleuse cité selon des plans dressés par Dinocratès de Rhodes, l’architecte préféré d’Alexandre. Elle s’étalera sur le cordon littoral, entre le lac Maréotis et la mer. La petite île au centre de la rade, connue sous le nom d’Antirhodos, « Rivale-de-Rhodes », portera des palais somptueux. L’île de Pharos s’ornera de temples et de sanctuaires à la gloire d’Isis et des dieux Sauveurs chers aux Ptolémées.
L’île de Pharos, sans doute le point le plus élevé de cette côte au relief très bas, devait former un amer sur lequel les marins de toutes les époques se dirigeaient ; elle protégeait la sûreté du mouillage à l’intérieur des ports.
Au nord, au-delà des flots, en mer Égée, à quatre jours pleins de navigation par vent portant, l’île de Rhodes rayonnait de tout son prestige et de son rôle de carrefour maritime. De Rhodes partaient les capitaines et les marchands. Le sculpteur Charès de Lindos, disait-on, construisait une gigantesque statue d’Hélios en bronze, haute de plus de trente mètres, pour commémorer la victoire des Rhodiens sur Démétrios, et signaler le port principal de l’île d’une colossale effigie du Soleil-Hélios (une des futures sept Merveilles).
Ci-dessus, Drachme d'argent à l'effigie d'Hélios, monnaie de Rhodes, vers 333 avant notre ère. Au revers, la Rose symbole de l'île, avec légende grecque "RODION" (Rhodes).
Ptolémée releva le défi que lançaient les Rhodiens dans cette course à la maîtrise des mers et commanda l’édification à sa gloire d’un monument emblématique : la Tour de Pharos.
Les bateaux partaient de Rhodes ? C’est à Alexandrie qu’ils aborderont désormais ! Venus de << la brume des mers, de cet interminable et dangereux voyage !… >> (Odyssée. IV-481), les nautoniers avaient besoin d’un bon guide, d’une tour de guet avec vigie et signaux de feux pour se repérer.
Sur l’île Pharos, surplombant l’ensemble des bâtiments, le temple d’Isis sera flanqué et couronné d’un fanal merveilleux, le plus haut qu’il sera possible d’édifier, un Veilleur tourné vers le large.
Ci-contre, à droite, monnaie frappée à Alexandrie sous l'empereur Commode (vers 188 de n. ère)
En remerciement du soutien apporté par Ptolémée lors du siège de leur cité par Démétrios, les Rhodiens avaient consulté l’oracle d’Amon de Siouah, et avaient spécialement bâti dans leur île un «ptolémaïon» pour honorer le souverain égyptien. Ne peut-on imaginer que le Veilleur de Pharos ait arboré un signe, en écho de complicité avec le Colosse des Rhodiens ? par exemple une tête auréolée de rayons solaires ?
Il n’est peut-être pas gratuit de souligner ici que l’épiclèse cultuelle de Sôter (Sauveur), attribuée à Ptolémée I, lui vient de l’aide apportée lors du fameux siège de l’île de Rhodes.
Décidément, l'île de Rhodes était bien au centre de cette Méditerranée !
Les navigations antiques
Bien avant Homère, depuis la nuit des temps semble-t-il, la Méditerranée et la mer Rouge avaient été parcourues d’esquifs transportant des marchandises d’un pays à l’autre, et de jeunes hommes sans feu ni lieu.
Ci-dessus, Gravures rupestres, pétroglyphes représentant des bateaux de l'âge du Bronze (3eme millénaire), Ouadi Sabû, au Soudan. (Photo Lamblard)
La présence de ces esquifs au milieu du désert serait-elle le souvenir de migrations venues de Mésopotamie ? Ou peut-être le témoignage d'un artiste primitif qui aurait voyagé et vu des bateaux loin de son village... (cliquer sur l'image)
Les épaves de l’Âge du Bronze récent (1600-1100 avant n.ère) livrent aux archéologues leurs vestiges envasés. Longs d’une quinzaine de mètres, navigant à la voile et munis d’avirons, souvent construits en bois de cèdre et de chêne, assemblés par chevilles et mortaises ou même « cousus », ces caboteurs aventureux transportaient des minerais, de l’huile, des lingots de verre d’Egypte, de l’ébène d’Afrique tropicale, de la pourpre de murex, des aromates, de l’ivoire en transit de Nubie.
Ils voguaient durant le jour de préférence. L’hiver, le marin et son gouvernail restaient au sec. Par mauvais temps et les nuits sans lune, on tirait la barque sur l’arènier. La navigation à vue nécessitait de se repérer sur la terre en journée, sur les étoiles la nuit. Dans les Cyclades, de rares cités élevaient des balises sur les hauteurs de leurs rives pour êtres identifiées de loin, et allumaient un fanal.
Ce n’est pas tant la mer qui est fatale aux caboteurs, mais bien la terre et ses enrochements, la terre basse sans repères, les écueils, les atterrages, les hauts-fonds sableux.
Le pilote se guidait sur le soleil et les astres comme le laboureur. Il guettait le bruit des récifs, il observait le vol des oiseaux, la couleur des eaux et les senteurs venues de la terre, l’odeur du feu et des fumées que le vent porte au large.
Ce ne sera qu’au deuxième siècle avant l’ère commune, qu’Hipparque établira, à Rhodes justement, les premières éphémérides nautiques et la carte des étoiles utiles aux marins. Rhodes où passait le parallèle fondamental de la carte du monde habité.
Les tours de guet deviennent phares
<< Il y a trois sortes d’humains : les vivants, les morts, et ceux qui vont sur mer ! >>, écrira un terrien, avouant la méfiance suscitée par l'apparition des navigateurs à leurs accostages.
Le terrien se méfie de l’errant, du nomade, du marchand. La cité s’affirme dans son rempart d’où la sentinelle contrôle le chemin. Le port vulnérable ouvert sur la mer élève ses tours de guet pour surveiller l’horizon.
La principale utilité des postes de vigie est de prévenir les autorités de l’arrivée des pirates. Du haut du sémaphore, le gardien observe le large et avertit la cité de l’approche des brigands. Avec des signaux de fumée, accompagnés de ronflements de trompes pour alerter les vigiles.
À Alexandrie, Ptolémée rompant avec l’usage, commandera l’édification d’une tour à feu utile aux marins : le Veilleur de Pharos.
Le génie maritime européen s’en souviendra et nommera les tours à feu de ce nom égyptien latinisé pharus.
Gravure représentant le célèbre Phare d'Alexandrie.
Au deuxième siècle avant notre ère, Poseidippos de Pella composa une épigramme en l’honneur de Pharos :
<< Voilà pourquoi, dressée toute droite, découpe le ciel une tour visible à d’innombrables stades, durant le jour. La nuit, bien vite, au milieu des vagues, le marin apercevra le grand feu, qui au sommet, brûle, et pourra courir droit sur la corne du Tauros… >> (2ème siècle avant n. ère)
Ce texte peu connu a été trouvé à Memphis. (Il est reproduit dans Le Voyage de Strabon, commenté par l’égyptologue Jean Yoyotte. Voir bibliographie).
À droite, le port de Saïda au Liban; C'est le minaret de la mosquée qui sert d'amer et de signal aux pilotes. (photo Lamblard).
(suite) :
La Géographie de Strabon
Les pages que l’on vient de lire montrent à quel point il est difficile d’échapper au légendaire dès qu’on approche de l’Alexandrie antique !
Et du célèbre Phare en particulier, dont on sait qu’il a existé mais dont il ne reste rien qu’un ensemble de récits plus ou moins fantastiques et quelques pierres disséminées au fond de la mer dans le chaotique gisement de blocs du port.
Ci-dessus, à gauche, l'allée des béliers d'Amon, temple de Naga en Nubie soudanaise.Voir également l'article : Les éphémères Pharaons Noirs (cliquer).
Parmi les textes antiques décrivant le Phare d’Alexandrie avant les premières destructions accidentelles causées par les séismes, retenons le récit du Gréco-Romain Strabon, qui visita la ville autour de l’an 25 avant notre ère, et publia dans sa « Géographie » une longue description de l’Egypte faisant toujours autorité.
« Strabon était et demeure le troisième classique obligé de l’égyptologie » (après Hérodote et Diodore), écrit Jean Yoyotte dans la préface de la traduction française de Pascal Charvet.
<< Le philosophe stoïcien, conservateur du grand cartographe Ératosthène et dont les démarches préfigurent à divers égards celles de la géographie moderne, doit sa réputation à son esprit de synthèse et à des exigences scientifiques qui s’expriment dans une écriture sans grands effets, garantie de sérieux et d’exactitude. Modernité de Strabon : son propos, à la fois théorique et pragmatique, culturel et politique, est de livrer une somme universelle aux philosophes désireux de savoir et de penser le monde en ses permanences et aux hommes qui auront la charge d’administrer l’ « oecoumène » finalement unifiée par les armes d’Octave et le génie de Rome et d’Auguste. >>
(Jean Yoyotte, p. 16).
Voici maintenant ce qu’écrit Strabon concernant l’île de Pharos et sa tour à feu ; extraordinaire monument qui passait auprès des voyageurs pour une merveille du monde, après le Colosse de Rhodes. (Livre XVII, 1-6.) :
<< Pharos est une île de forme oblongue, très rapprochée du rivage, et constitue avec lui un port à deux ouvertures, (…) La pointe même de l’île est un rocher battu de tous côtés par les flots et portant une tour faite en pierre blanche, admirablement construite, à plusieurs étages, du même nom que l’île. Sostrate de Cnide, ami des rois, l’a dédiée au salut des navigateurs comme le signale l’inscription. En effet, comme la côte était dépourvue d’abris, basse de chaque côté, et bordée de récifs et de bas-fonds, il fallait à ceux qui venaient du large un signal élevé et brillant qui pût guider favorablement leur course vers l’entrée du port. >> (Traduction de Pascal Charvet. Page 79.)
Ci-dessus, à droite, le professeur Jean YOYOTTE devant les ruines du temple d'Amon de Siouah. (Photo Lamblard)
La dédicace de Sostrate de Cnide, gravée sur le monument, pour autant qu’on puisse la restituer, se terminait vraisemblablement par ces mots : « Aux dieux Sauveurs pour le salut des navigateurs. »
Les dieux Sauveurs étant Zeus, Poséidon, Isis et leurs représentants sur terre, les premiers souverains ptolémaïques.
Le Phare porte-feu
Les écrivains qui traiteront de l’île Pharos à la suite de Strabon prendront la tour comme modèle du genre, et appelleront « phare » toutes les guettes surmontées d’un feu destiné à guider les navires vers leur havre.
Alors se pose ici le problème du combustible.
Du haut de sa tour, sur son îlot, le Phare aurait brûlé nuit et jour ; la nuit pour briller de toute sa lumière, la journée lâchant des signaux de fumée. Quel pouvait être le combustible que les gardiens utilisaient ? Du charbon de bois plus des fagots ?
L’Egypte n’est pas un pays de forêts, le bois est rare au désert, et cher à importer. Des graisses animales ? Une batterie de lampes à huile de ricin ou d’olive, et tout un jeu de miroirs à la mode d’Archimède ?
Hérodote mentionne bien l’utilisation de l’huile de ricin en Egypte pour l’éclairage ; aux flammes, s’ajoutaient la fumée noire et l’odeur puante facile à identifier (Enquête. II-94).
L’image d’un nautonier pilotant sa barcasse un jour brumeux en pointant le nez vers l’avant pour renifler l’odeur des huiles brûlées me plaît assez, « Je sens Alexandrie plein sud ! »
Et pourquoi pas du bitume ou de l’asphalte de Judée ? les Ptolémées possédaient leurs entrées sur cette terre du Levant.
Il est certain qu’à l’origine, les souverains ne devaient pas lésiner sur l’entretien du Phare, et des norias d’ânes chargés de résineux en fagots sont envisageables. Un papyrus, un jour, nous le dira peut-être.
Les Grecs, qui avaient des pratiques funéraires différentes des anciens Egyptiens, ont-ils pu employer aussi les stocks de produits destinés à la momification, poix, résines, bitume, huile de cade, cire d’abeille, onguents, toutes matières éminemment inflammables ?
Nous savons qu’à l’époque moderne des locomotives roulèrent grâce à la combustion de milliers de momies venues d’Egypte…
À gauche, mosaïque de Tsippori (Sépphoris) au nord de Nazareth, représentant la porte et le Phare d'Alexandrie selon l'inscription. 5e siècle ?
Images antiques du Phare
Une tour de trois étages plantée sur un îlot, haute et parée de pierre blanche, portant un feu à son sommet. Voilà ce qui est à peu près acquis. Le premier étonnement des contemporains venait peut-être de son utilisation : le guidage des pilotes de bateaux des négociants.
La date du début de la construction du Phare est fixée aux alentours de 297 avant notre ère, sous Ptolémée Ier, et son achèvement à la mort de ce roi. Ces informations sont tirées d’un lexique byzantin du Xe siècle de notre ère que l’on appelle la Souda. C’est dire la grande incertitude qui demeure autour de ce monument. De même, on ignore sa hauteur totale et qu’elles étaient les statues qui ornaient sa coupole.
La tradition affirme qu’un tombeau bâti par un riche citoyen grec à Taporisis Magna, au IIe siècle av. n. ère, serait l’imitation du Phare en modèle réduit ; le monument toujours debout aujourd’hui non loin d'Aboukir n’est pas très impressionnant ; la Tour Magne de Nîmes est plus majestueuse...
Des monnaies d’époque romaine portent des représentations du Phare, ces gravures sont-elles réalistes ? (Nous avons présentées quelques unes ci-dessus).
Un précieux gobelet en verre trouvé à Begram, non loin de Kaboul, daté du Ier siècle avant notre ère, pourrait représenter le Phare : au sommet d’une tour simple, on voit une grande statue d’homme nu tenant une rame (?). S’agit-il d’un objet hellénistique acheté par un voyageur Afghan ?
Plus fiable est la célèbre mosaïque découverte en Libye, dans la Cyrénaïque, proche de l'Egypte, et datée précisément de 539 après J-C. Ce pavement de basilique justinienne, identifié par une inscription, « o pharos », se trouve dans les ruines de l’église de l’évêque Makarios.
Sur une tour crénelée, on voit un personnage nu tenant une lance (?), et portant sur la tête une couronne de rayons, attribut d’Hélios divinité représentant le Soleil (frère de Séléné la Lune).
Au second plan, une autre statue masculine se dresse, de même hauteur que la première ; ce couple pourrait tout aussi bien être identifié aux Dioscures, Castor et Pollux.
Toutefois, rappelons que le Soleil était l'emblème de la dynastie macédonienne, ainsi que l'attribut préféré de nombreux empereurs romains admirateurs d'Alexandre. Le Christ fut également identifié au dieu-Soleil.
Ci-dessus, à droite, seconde photo de la mosaïque libyenne d'époque byzantine (539 de n. ère) formant le pavement d'une église libyenne. Le nom de l'île portant le Phare est inscrit. (© Photo Lamblard)
Cette mosaïque paléochrétienne, bien datée du VIe siècle de notre ère, pourrait laisser croire que le Phare existait encore avec sa statue sommitale originelle intacte. Nous savons pourtant qu’il avait subi des dommages considérables dus aux séismes, aux assauts de la mer, et aux destructions fanatiques initiées par Théodose, et mises en pratique par l’évêque Théophile qui ordonna la destruction du Serapeum d’Alexandrie, des livres et des « idoles » en 391.
Notons que d'autres mosaïques d'époque byzantine portant des vignettes représentant Alexandrie existent en Jordanie, à Gésara, Khirbet-es-samra, (VIIe siècle), mais sans apporter d'image utile à la description du Phare.
La mer monte, la terre s’enfonce
La première destruction brutale d’Alexandrie par un séisme pourrait avoir été enregistrée dès le premier siècle de notre ère. Cette zone côtière a été victime depuis l’Antiquité de phénomènes de mouvements géophysiques importants. Des portions de rivages ont disparu sous les eaux.
Écoutons Jean Yoyotte :
<< Le schéma simpliste d’un ou plusieurs tremblements de terre venant casser Alexandrie, ne peut rendre compte des observations effectuées ces dernières années. D’une part, il y a des mouvements de subsidence et de remontée extrêmement lents, qui se produisent un peu partout et qui ne laissent pas de traces dans les souvenirs des habitants ni dans les chroniques. D’autre part, un séisme qui arrive sur une côte rocheuse n’a pas les mêmes effets que lorsqu’il frappe une côte de boue, comme ce fut le cas dans la région orientale d’Alexandrie autour de la bouche canopique et d’Héracléion. (…) Les phénomènes de transgression c’est-à-dire d’élévation de l’eau de la Méditerranée n’interviennent que pour une faible part dans la disparition de certains points de la côte.
C’est essentiellement un phénomène de subsidence : ce n’est pas seulement l’eau qui monte, c’est la terre qui descend ! »
Le Delta s’enfonce sous le poids des alluvions, la mer monte, et les séismes ravagent les constructions, abattent les tours…
Le célèbre Colosse de Rhodes à l’effigie d’Hélios, construit vers 304-290 avant notre ère, aurait été abattu peu de temps après, vers 227, à la suite d’une catastrophe géologique.
Pour le Phare d’Alexandrie, les avaries se succèdent au cours des siècles, jusqu’à la destruction majeure qui se trouve consignée dans le Petit Thalamus de Montpellier, un cartulaire occitan du XIIIe siècle, où l’on peut lire :
<< …en l’an 1303, le 8 août, il y eut un grand tremblement de terre à Alexandrie qui fit tomber le Phare et bien le tiers de la ville. >> (…fut gran terra tremul en alixandra trobet lo farre e ben lo ters de la vila…).
(Thalamus Parvus, chronique romane des XIII/XVIIe siècles, publiée en 1836).
Les Romains organisent les routes marines
Avec l’occupation romaine, après la mort de Cléopâtre, les mentions du Phare dans divers écrits vont se multiplier.
Pline l’Ancien : << Pharos. Unie par un pont à Alexandrie, elle est maintenant pourvue d’une tour dont les feux nocturnes règlent la marche des vaisseaux… >> (H.N. V-128). Egalement sur les Sept Merveilles : (XXXVI-83.)
Suétone mentionne à deux reprises le Phare : << où des feux brillaient toutes les nuits pour éclairer les routes des navires. >> (Caligula, XLVI ; Claude, XX.)
Ci-dessus, le minaret de la moderne mosquée de Siouah domine aujourd'hui les ruines du sanctuaire où l'oracle d'Amon vaticinait. (Photo Lamblard).
C’est désormais la fonction de fanal maritime qui prédomine dans les mentions du Phare. L’image d’Hélios que nous avons rencontrée ne signifiait pas autre chose.
La représentation du Phare sur le pavement décoratif d’une église d’époque byzantine de Cyrénaïque pourrait aussi être le symbole du Christ conduisant le monde par sa lumière. Dans les images symboliques utilisées par les premiers chrétiens, à côté du bateau, de l'ancre et des poissons, il y a parfois la tour de feu.
Image que reprendront les musulmans en construisant des minarets portant la parole de Dieu aux quatre cardinaux géographiques.
Des phares du temps des Romains sont par ailleurs bien répertoriés. La Corogne en Galice au IIe siècle, le Faro de Messine, le phare de Leptis-Magna, de Sambûcar en Andalousie, d’Ostie, de Fréjus, le phare du Bosphore figuré sur la Table de Peutinger, et d’autres, accompagnant le trafic maritime en pleine expansion.
Reconquête d’Alexandrie, la ville du Bi-cornu
En 640, le calife Omar, successeur du prophète Mohammed, lance ses cavaliers à la conquête de l’Egypte. Les musulmans s’emparent de la plus prestigieuse cité d’Afrique, Al-Iskandariyah la ville d’Alexandre, ce conquérant fabuleux qui parcourait le monde du Couchant au Levant, et bâtissait, d’après le Coran, des ouvrages de pierre et d’airain à la gloire d’Allah, le « Possesseur des deux cornes » de la Sourate 18-97 : << Cet ouvrage, dit Dhu-l qarnayn, est un effet de la miséricorde de Dieu... >>.
À compter du VIIIe siècle, ce seront les voyageurs arabes qui visiteront Alexandrie d’Egypte, l’étape obligée du pèlerin vers La Mecque, comme Venise attirait le Chrétien en route pour la Terre Sainte. Bien avant les Européens, ils copieront Aristote et Ptolémée...
Les voyageurs arabo-musulmans s’acheminent vers la Lumière (Noûr), et comprennent avec le cœur ce qu’ils doivent comprendre des lieux rencontrés dans leurs périples. Leurs récits décrivent la splendeur d’Alexandrie reconquise.
Ya’Qoubi, vers 880 : << Alexandrie, grande et splendide cité (…) Parmi les prodigieux édifices, on compte le Phare situé au bord de la mer. C’est une tour solide et bien construite, haute de 175 coudées, au sommet de laquelle se trouve un foyer où l’on allume des feux lorsque les vigies aperçoivent des navires loin au large. >>
Quelques années avant la visite de Ya’Qoubi, à la suite d’un séisme et du lent affaissement dans la mer selon un phénomène de subsidence qui affectait le Delta, plus quelques raz-de-marée, Alexandrie avait déjà perdu une partie de ses richesses architecturales.
En 873-883, le sultan Ahmed Ibn Touloun entreprend des travaux de reconstruction et de consolidation de la tour sur l’île Pharos. Il aménage un oratoire au dernier étage, sous la lanterne (fanousa) proprement dite. Cette première mosquée l’incitera à doter le grand sanctuaire qu’il entreprend au Caire d’un mirador d’où le muezzin lancera ses appels à la prière.
La tradition affirme que le plus ancien minaret du Caire, celui de la mosquée d’al-Hakim, avait été bâti sur les plans du Phare d’Alexandrie en modèle réduit.
Ci-contre, le minaret de la grande mosquée de Kairouan, érigé en 723. Donne-t-il une bonne image du Phare d'Alexandrie ? La tradition l'affirme.
Les minarets comme des phares
Plantée au milieu de la steppe basse, Kairouan se dresse tel un vaisseau sur la mer. La Grande mosquée Jamâ Sidi Oqba, le plus ancien lieu de prière de Kairouan et d’Afrique du Nord est lui aussi doté d’un minaret (manâra, tour de lumière en arabe) de trois étages, haut de 35 mètres, réputé reproduire le Phare d’Al-Iskandariyah d’Egypte (Alexandrie) ; ce minaret daterait de 723.
D’autres auteurs arabes se relaieront pour illustrer Alexandrie au fil des décennies et mentionner l’état de l’édifice et les dégâts causés par le temps et les éléments. Al-Andalousî en 1117, décrit le Phare avec force détails fabuleux et mensurations émerveillés. D’après lui, l’île est couverte de ruines inhabitées. Il mentionne la mosquée au sommet de la tour.
À droite, la mosquée de Louxor a été implantée au milieu des ruines du temple d'Amon, elle abrite le tombeau de Sidi Aboul'l-Haggag, le minaret domine les vestiges pharaoniques. (Photo Lamblard)
Al-Idrisi, le plus fameux des géographes au service de Roger II de Sicile, vers 1150, admire le Phare utile aux navigateurs, et indique l’étonnante technique de construction alliant les pierres brutes au plomb fondu, ce qui pourrait relever davantage d’une référence aux travaux prodigieux du « Maître aux deux cornes » du Coran (Alexandre le Grand) que d’une observation objective.
De passage à Alexandrie, Ibn Jubayr vers 1185 témoigne à son tour : « Parmi les merveilles de la ville, citons le Phare qu’Allah —Le Puissant en majestueux— a édifié par la médiation de ceux qui furent assujettis à ce travail afin que cet édifice soit un signe pour les hommes qui cherchent à connaître la vérité, et un point de repère pour les navigateurs… »
Ibn Battuta sera le dernier grand voyageur à parcourir les substructures du Phare, encore visitables en 1326. Quelques années plus tard, il ne pourra plus pénétrer dans l’édifice tant les éboulements auront obstrué les passages.
Effondrements et reconstructions partielles émaillent l’histoire du Phare jusqu’au coup de grâce du séisme de 1303 mentionné dans le cartulaire roman de Montpellier. La disparition complète aura lieu en 1375, à la suite d’un ultime séisme.
Sur ordre du sultan Qayt-bey, en 1477, un fortin est construit sur l’île Pharos arasée en remplacement de la tour et des temples. Ce fort existe toujours.
Les Andalous ou Sarrasins seraient venus sur les côtes françaises et auraient laissé leurs marques ; ainsi, dans la banlieue d'Hyères, sur l'emplacement de l'antique Olbia grecque, il y a un lieu-dit l'Al-Manarre (Manâra, tour de lumière en arabe) qui rappelle par son nom le phare construit par les musulmans au huitième siècle.
Il est admis que, dès sa création et pendant près de sept siècles, Alexandrie fut le foyer de l’hellénisme. Gardons présent à l’esprit qu’une part de nos connaissances, non seulement de la civilisation égyptienne mais également du savoir grec, a pu fructifier et se conserver grâce à l’Alexandrie des Ptolémées. Sans anachronisme de bons sentiments toutefois. La ville était grecque, peuplée d’Hellènes en majorité. Le Musée et la Bibliothèque royale n’ouvraient leurs portes qu’aux dignitaires de la cour, et les savants oeuvraient pour la grandeur des souverains, lesquels voulaient accumuler dans leurs palais tout le génie du monde, instrument perpétuel de puissance.
Jean-Marie Lamblard
Éléments de Bibliographie :
- ILBERT Robert, "Alexandrie 1830-1930 ; histoire d'une communauté citadine", vol. 2. Le Caire, IFAO. 1996, pp.609-618, <Alexandre, César, et Pharaon>>.
- LAMBLARD jean-Marie, Phare d'Alexandrie, in revue EUROPE, n°936, avril 2007.
- RENARD Léon, « Les phares » . L’Ancre de marine. 1900, réédition 1991.
- STRABON, "Le voyage en Egypte, un regard romain". Yoyotte Jean, Charvet Pascal, Gomprest Stéphan, Nil Edition, 1997.
- VERNUS Pascal, et YOYOTTE Jean, "Dictionnaire des pharaons". Ed. Noêsis, 1998.
- YOYOTTE Jean, "Les rivages d'Alexandrie". Dossier pour la science. Octobre 1999, p 44.
- YOYOTTE Jean, "La découverte de Thônis-Héracléion". Revue L'Egypte, Afrique et Orient, n°24. Avignon, décembre 2001.
- YOYOTTE Jean, et CHUVIN Pierre, « L’Egypte des marais », L’histoire, n° 88, et n°99.
- WILL Edouard, « Histoire politique du monde hellénistique ». Ed. Seuil, 2003.
- Sur le site, La NUBIE des Pharaons Noirs, ici.