CHANT DE SIRÈNES
Cette note du 15 févier 2015 reflète l'émotion et la colère que nous étions nombreux à éprouver après les massacres de Paris, et ceux qui suivirent à Copenhague, ou Tunis, comme des répliques sarcastique. Des faibles d’esprit, fort bien baraqués aux stéroïdes anabolisants, et d'autres faméliques, sur la foi de chimères, tuent et mettent leur vie en jeu contre une seconde vie extra-terrestre. Oh, parents démunis, éducateurs minables, quelle responsabilité vous avez là !
Nous n’ignorons rien de l’écrasante responsabilité des nations colonisatrices et de leurs représentants à demeure dans leurs rapports dominants aux indigènes. Mais le temps passe. Des générations nouvelles sont nées, leur errance au désert s’est achevée. Pourquoi un tel recul humanitaire, pourquoi une telle dérive vers la pensée magique, une telle chute au sein des superstitions ?
L’homme est doté d'une imagination fertile. Des religions, il en inventa des milliers au fil des millénaires. Certaines continuent d’accompagner des peuples paisibles. D’autres, farouchement monothéistes, dès leur émergence, sèment la mort violente et le malheur. Leurs livres sacrés sont tout fumant de meurtres et de malédictions.
Ci-contre, à droite, Caïn, l'aîné, tue son frère Abel. Basilique de Monreale. Sicile. (Cliquez pour agrandir).
À croire que seul un démon pouvait concevoir un tel système pernicieux de rapport à l’invisible.
<< C’est Satan qui a créé les religions, elles n’apportent que du malheur ! >>, s’exclame le protagoniste de la grande saga, « Heimat », d’Edgar Reitz. J’incline à faire mien ce cri de désespoir.
Salman Rushdie, en soutien à Charlie Hebdo : << Lorsqu’elle est combinée avec l’armement moderne, la religion, cette forme médiévale de déraison, devient une véritable menace pour nos libertés. Ce totalitarisme religieux a causé une mutation meurtrière dans le cœur de l’islam et nous en voyons les tragiques conséquences à Paris… >>
Il faudrait être candide pour ne pas comprendre à qui profite le crime au-delà des embrigadés sectaires : aux marchands d’armes au premier chef et à leurs financiers.
En parallèle, les démocraties, les Républiques animées par l’esprit des Lumières, érigèrent la liberté d’expression pour accompagner les droits de l’homme et du citoyen et leur enseignement.
À CHACUN SA CARICATURE
Il n’y a pire caricaturistes que ceux qui ne voient que le crayon dans l’œil du voisin et ignorent la kalachnikov qui les aveugle. Des armes de guerre en guise d’argument. Nous n’en sommes toujours pas remis.
<< …Mon triste cœur bave à la poupe, Sous les quolibets de la troupe, Qui pousse un rire général, Mon triste cœur bave à la poupe, Mon cœur couvert de caporal !… >>
D’abord, comment peut-il y avoir caricature alors que personne ne sait quel homme était Muhammad. Pas d’avantage en ce qui concerne l’homme Jésus. Lorsque les Coptes d’Alexandrie vénèrent une quadrichromie montrant un jeune homme blond, aux yeux bleus, à la bouche fardée, n’ont-ils pas conscience qu’ils adorent une caricature d’idole ? Et que dire des grands posters que l’on voit par milliers, de toutes tailles, dans les souks de certains pays du Proche-Orient musulman, sur lesquels de talentueux portraitistes ont amoureusement retouchés d’imaginaires figures de superbes jeunes hommes incarnant Ali, al-Hassan, et al-Hussein, premiers khalifes du 7ème siècle de l’Islam et premières victimes des fous de Dieu.
Dès les premières lueurs de l’islam, les héritiers du prophète furent abominablement massacrés par leurs proches, djihadistes avant l’heure. En 661, Ali, fils adoptif et gendre du prophète Muhammad fut assassiné. En 670, al-Hassan fils aîné de Fâtima et d’Ali fut tué. En 680, le second, al-Hussein, subit le même martyr à la bataille de Karbala ; les répliques de ce drame se répercutent encore entre frères ennemis, Sunnites, Chiites, Salafistes…
La prestigieuse dynastie des Omeyyades sera massacrée le 14 août 750 non loin de Damas. Seul, un garçon, Abd al-Rahmân ibn Mu’awiya survivra, sauvé par des Bédouins. L’enfant pourra rejoindre l’extrême Ouest africain où sa mère était née. Ce survivant conduira l’Islam à la conquête de l’Ibérie, porté à la tête d’un contingent de guerriers, les Berbères du Rif.
Abd al-Rahmân l’Omeyyade deviendra le premier émir de Cordoue et initiateur de l’esprit d’Andalousie.
Refuser de reproduire, selon des canons humains, les divinités peut se comprendre. Interdire la figuration de la personne humaine, soi-disant créature de Dieu, s’inscrit dans une certaine logique. Les mosaïques byzantines témoignent d’un siècle d’iconophobie bien dommageable pour les œuvres d’art. Mais, depuis ces outrances, de l’eau a coulé sous les ponts aux ânes.
Aujourd’hui ce sont des charniers que laissent derrière eux les guerriers fous de l’islamo-fascisme, de Boko Aram à Daech, en Eurasie comme en Afrique.
Des meutes d’hommes, grandis sans morale ni savoir, ravageant les villages et les bourgs, ont de tout temps semé la terreur. Ce qui est nouveau, et épouvantable, tient dans la prolifération des armes les plus performantes. Ces jeunes gens élevés dans la peur viscérale de la féminité, frustrés dans leurs besoins les plus humains, ne trouvent, comme exutoire à leurs testostérones inemployées, que la violence bestiale.
L’estampe, reproduite ci-contre, présentée comme une photographie : « Une vraie Sirène trouvée sur le côté occidental du golf d’Arabie le 7-4-1973 », illustre sans aucun humour ce travers masculin de la peur de la féminité. (cliquer pour agrandir l'image).
(Ce poster sur papier glacé fut acheté dans un bazar à Fez, en 1980. Il bénéficiait d’un grand succès auprès des badauds ; je l’avais déjà vu les années précédentes dans des souks d’Afrique du Nord. Je reverrai souvent cette reproduction au Liban. Elle porte le n° 2507 de la propriété industrielle, et ne doit rien à Magritte !)
Nous connaissons tous les démons marins appelés « Sirènes » par les Grecs, à demi femmes et à demi oiseaux. La littérature les mentionne pour la première fois dans l’Odyssée où des Sirènes tentent d’ensorceler Ulysse par leurs chants mélodieux. Seul Orphée pouvait rivaliser avec la beauté de leurs voix.
L’île des Sirènes se trouvait paraît-il au large de Sorrente. Certains conteurs affirment que ces séductrices n’avaient pas toujours possédé des ailes d’oiseaux, et qu’alors elles étaient de parfaites jeunes filles.
Jamais, au grand jamais, les sirènes n’eurent une tête de poisson ! Le poisson ne chante pas. Ici le démon ne devient femme qu’au dessous des seins.
L’idéal rêvé du djihadiste sans doute.
Je ne suis pas très sensible à l’esprit de certaines images satiriques, tout en reconnaissant que l’art de la satire a souvent été une force pour la liberté. Je me laisserai plus volontiers séduire par ces peintres de la Renaissance, par les toiles extravagantes et gracieuses de Giovanni Battista Cima da Conegliano, par exemple, montrant de saintes personnes en extase, un large coutelas solidement planté dans le crâne. Il ne s’agit pas de caricatures ? Certes, et ici l’humour serait un anachronisme. Serais-ce donc une question de culture ?
Ci-cotre, à droite, Saint Pierre martyr. Giovan Battista Cima da Conegliano. Pinacothèque de Brera, Milan. XVe siècle.
Certains peuples choisirent, pendant des millénaires de ne point écrire leur propre langue. D’autres ne dessinaient rien. Ne tentons pas de juger ces choix radicaux. Il est difficile d’effacer l’empreinte des siècles gardant le souffle des langues mortes et des coutumes ancestrales. Les cultures tribales véhiculent jusqu’aux oreilles et aux yeux des nouveaux-nés (ces « voyageurs sans bagage » avides d’imprégnations), leurs lots d’héritages. Sitôt aspiré le premier souffle et reçu le premier son, l’enfant commence d’engranger le patrimoine de spiritualité, ou de haines, du groupe humain qui l’entoure. Ayons à cœur d’interrompre la transmission des antipathies, des aversions traditionnelles, des rumeurs, et de jeter ainsi les bases d’un nouvel âge fraternel.
Réinventer la catharsis ?
Notre civilisation a survécu aux guerres abominables, aux inquisiteurs, aux popes ignares, aux bûchers de prétendus sorciers, aux prêcheurs de croisades. Peut-être a-t-elle pu survivre parce qu’elle s’était inventé une soupape, en évent, un exutoire incrusté dans la ronde cyclique des saisons, le temps suprême de la caricature : le divin Carnaval —pas d’amalgame, nous ne parlons pas de défilés de chars—, nous évoquons le roi Carnaval, dieu des caricaturistes !
Ainsi soit-il. 15 février 2015
— Arlequin et plus :
http://lamblard.typepad.com/weblog/arlequin_et_le_chanvre/
— Images en archives :
http://www.paranormal-encyclopedie.com/wiki/Articles/Buraq
— Caricatures : http://c-pour-dire.com/2006_02_des_affiches_de/