SOYONS AVEC LA TUNISIE, VISITONS LE BARDO
Vingt et un morts, quarante-trois blessés, le 19 mars 2015, les armes de guerre, entre les mains des massacreurs, frappèrent en Tunisie. Quelques jours après, à Sanaa, ce fut l’épouvante dans les mosquées ; et chaque jour prolonge la liste des tueries au nom de l'islam... Ad nauseam.
Ce sont des musulmans salafistes, entraînés au combat en Libye dit-on, qui ont tué les visiteurs de l’un des plus enrichissants musées d’Afrique du Nord, le Bardo de Tunis. Soixante-quatre victimes ; frappées au nom d’Allah ?
Ces tueurs, de jeunes hommes nés en Tunisie, sont conformes à l’image des assassins de Charlie-Hebdo, de Copenhague, et ailleurs dans le monde où cette pieuvre sévit. De jeunes gars fanatisés et ignares.
« Un seul livre nous suffit, brûlons tous les autres ! », telle est leur profession de foi. Laissons à leurs proches l’analyse et le poids de cet état mental venu de leur éducation.
VISITE DU MUSÉE NATIONAL DU BARDO
La Tunisie fut de tous temps un carrefour de civilisations. Son cap, en figure de proue des terres africaines, s’allonge jusqu’à frôler l’Europe, au centre de la Méditerranée.
Le musée du Bardo, par ses collections et leur mise en valeur, conserve la mémoire artistique des grandes cultures qui trouvèrent, sur cette terre hospitalière, de nombreuses communautés avides de progrès et d’épanouissement humain.
La Tunisie ne fit son entrée dans les fastes historiques qu’avec l’arrivée d’une cargaison de Phéniciens, colons venus de l’actuel Liban, vers le 11ème siècle avant notre ère. Son territoire fertile avait pourtant été peuplé depuis longtemps déjà ; comme l’étaient en ce temps-là les rivages du pourtour de la Grande Bleue ; certaines de ces communautés inventèrent un Néolithique parmi les plus précoces.
À gauche, mosaïque funéraire paléochrétienne, un scribe accompagné de sa fille nommée Victoria. Mosaïque du Bardo, provient de Tabarka. À droite, Ulysse et les Sirènes. Mosaïque trouvée à Dougga, IVème siècle. Le héros de l’Odyssée est, sur sa demande, attaché au mât de son navire pour écouter l’ensorcelante voix des Sirènes. (Photos Lamblard).
Ces populations Méditerranéennes, sédentaires ou nomades, actuellement connues sous des noms tels que Numides, Maures, Gétules, Libyens, qui formaient le fond autochtone, sont rassemblées aujourd’hui, unifiées par une même langue, sous le terme général de Berbères.
Les Berbères d’Afrique du Nord ont laissé des richesses archéologiques de la plus haute antiquité, preuves d'une culture qui les place dans la grande famille des peuples évolués du pourtour méditerranéens.
Le musée du Bardo abrite de précieux témoignages de ces peuples qui attirèrent chez eux les commerçants Puniques.
Ces Phéniciens aventureux partis de Tyr, de Sidon, fondèrent un emporion selon les traditions des cités du Proche-Orient — Ainsi feront les Phocéens venus d’Anatolie en fondant Marseille au 6ème siècle avant notre ère — En Afrique, ce sera Carthage, promise à un fabuleux destin.
En visitant les salles du Bardo, nous parcourons le temps des mégalithes et des « hahouanets » préhistoriques, qui nous conduisent jusqu’aux extraordinaires vestiges que l’ambitieuse dynastie carthaginoise a laissé sur ce sol.
Statues, masques, objets de cultes, stèles, lampes, bijoux, monnaies, occupent les vitrines. Tout un ensemble de collections, fortement marquées par le caractère des Berbères qui furent les artisans de ces productions, revivent sous nos yeux.
On aura le privilège de découvrir les divinités du Panthéon libyque présentes sur un bas-relief trouvé au coeur du pays des Numides, ainsi que des inscriptions bilingues en libyque et en punique.
Les mosaïques d’époque romaine, célèbres dans le monde entier, admirablement conservées, émerveillent les visiteurs par leur splendeur. Les grands mythes religieux grecs, les héros d’Homère, alternent avec des scènes de la vie quotidienne. Ces dernières années, des fouilles sous-marines ont encore enrichi les collections.
Au département de l’occupation romaine succèdent les salles de l’époque paléochrétienne. Le sol tunisien a conservé un ensemble de monuments, de lieux de culte, de tombes, d’amphithéâtres dont l’originalité artistique est sans égale.
Toutes les religions qui se sont épanouies sur cette terre sont représentées, et la civilisation islamique occupe tout un étage du Bardo.
Ci-contre, mosaïque tumulaire, tombe de l’enfant Adiodatus, mort à l’âge de 4 ans. VIème siècle. Provient de Bir Ftouha, musée du Bardo. (Photo Lamblard). Cliquer pour agrandir.
LA CULTURE POPULAIRE ET LE RIRE SALUTAIRE
Notre dernière « Lettre d’Archipel » s’aventurait jusqu’à invoquer le dieu Carnaval afin de trouver le chemin du rire rassurant. La grande mosaïque du Bardo montrant Ulysse et les Sirènes, nous tend opportunément le lien avec l’incroyable poster, vendu dans tous les souks, où l’on admire « Une vraie Sirène trouvée sur le côté occidental du golfe d’Arabie ». Il aurait été dommage de ne pas se souvenir ici de cette improbable Sirène :
Le chant des Sirènes, cliquer !
Parmi les collections du Bardo, les croyances rebelles sont présentes.
La culture populaire méditerranéenne s’exprime librement au hasard des sujets. J’en veux pour preuve cette mosaïque, mutilée par le temps, où l’on reconnaît les signes de protection : un poisson (viril ?), deux serpents, à l’encontre des jeteurs de mauvais sort, contre le « mauvais oeil ». Cette mosaïque apotropaïque est l’ancêtre des « Mains de Fatima », de la Khomsa : « Cinq dans tes yeux, eh, patate ! fils de hyène ! ».
« Cinq dans ton oeil ! », mosaïque de pavement, maison privée. Protection contre le mauvais sort. Fouilles de Sousse. (Photo Lamblard).
À droite, la « Khomsa » ou main de Fatima. Adaptation moderne du fétiche. Ce célèbre objet "chasse-diable" rappelle les dessins et peintures que l'on voit encore sur les rochers ou dans les grottes préhistoriques. (Cliquer ici !)
AU TEMPS OÙ LES ARABES RIAIENT
Enfin une bonne nouvelle, le héros, le champion de l’islamo-facétie, serait de retour : Nasr Eddin Hodja. Le grand mollah, le sage, le maître de l’humour, connu en Egypte sous le nom de Goha le Simple, Joha ou Jeha en Afrique du Nord, et Nasr Eddin partout, de l’Eurasie aux îles Atlantiques, le maître du rire revient.
Apparu avant que l’islam ne redoute l’image et la satire, au 13ème siècle en Turquie, le voici de nouveau, chevauchant de rebours sur son âne, mettant les rieurs du monde entier de son côté, à la barbe des jihadistes, « Le premier qui rira n’aura droit qu’au paradis d’Allah ! ».
Rendez-vous les premiers jours de juillet à Aksehir, ville natale de Nasr Eddin Hodja en Turquie, (province de Konya, le centre de la tradition Soufie et des Derviches tourneurs), où se tiendra un grand festival du rire.
Ci-contre, à droite, le champion de l’islamo-facétie, Nasr Eddin Hodja, de rebours sur son âne, la face tournée vers la croupière. << Si je montais mon âne normalement, expliquait Nasr Eddin, vous seriez derrière moi. À l’inverse, si vous étiez devant moi, c’est vous qui me tourneriez le dos. Donc, monter mon âne à rebours résout tous les problèmes et, en outre, c’est bien plus poli >>. Jardin public à Ankara, Turquie. Et n’oubliez pas, rendez-vous en juillet à Aksehir !
Pour davantage de détails sur l’asinade, voir « Lettres d’archipel » :
< http://lamblard.typepad.com/weblog/2014/09/la-figue-au-pape-.html >