CONSTANTINE-DE-PROVENCE,
ET LA CHÈVRE D'OR
Résumé : Les ruines d'une cité gauloise ou ligure, implantée non loin de Marseille, porte aujourd'hui le nom de Constantine. La légende attachée à ses vestiges parle d'une "Chèvre d'or" cachée par les Sarrasins. Des fouilles archéologiques sont venues confirmer la présence sur le lieu d'un sanctuaire celtique consacré aux puissances de "dessous-Terre".
Quel rapport peut-on trouver entre ce site provençal et Constantine d'Algérie ?
La Chèvre d'or n'est-elle qu'un souvenir du passage d'armées musulmanes en Provence ?
Pourquoi Nostradamus se réfère-t-il à Constantine ? De quel trésor s'agit-il ?
Sommaire :
I - Un Constantin, des Constantines...
II - La Chèvre d'Or, un souvenir des Sarrasins ?
III - Les vautours de Constantine d'Algérie.
I - Un Constantin, des Constantines...
L'empereur Constantin le Grand, à l’exemple d’autres monarques, fonda des villes et leur donna son nom. Les plus connues, Constantinople sur le Bosphore et Constantine-d'Algérie, dressent encore leurs murailles de cités romaines ; capitales qui furent à la fois bornes, balises, et traits d’union placés aux portes ouvrant sur les immensités asiatiques et africaines.
Tout a été dit ou presque sur Constantinople, seconde Rome. Constantine d’Algérie est plus modeste, mais son aura de cité royale se ressent encore.
Par contre, Autun et Arles ont oublié la protection impériale qui les honora un temps ; elles cultivent le charme des sous-préfectures au riche patrimoine dont raffolent les magazines touristiques.
Pour mémoire signalons que l'actuelle ville de Miramas a été implantée vers 1837 sur un lieu-dit appelé Constantine pour une raison inconnue.
Il est une autre Constantine, ville morte cachée au cœur de la Provence maritime, quasiment inaccessible aujourd’hui, protégée par le maquis au bout de chemins privés.
C’est cette Constantine-ci que je propose à la curiosité des lecteurs :
UN HABITAT FORTIFIÉ ET UN SANCTUAIRE GAULOIS

Située sur la commune de Lançon, au sud de Salon-de-Provence, au nord de l'étang de Berre, la citadelle de Constantine occupe le promontoire culminant dans la chaîne des collines de La Fare-les-Oliviers. Elle se dresse toujours face à son homologue de l’autre rive méditerranéenne.
Ci-dessus, à droite, l'oppidum de Constantine-de-Provence. Les tours et les courtines de la partie nord-est de l'enceinte du IIème siècle avant notre ère. (Photo Lamblard).
Son enceinte, fortifiée de courtines et de tours, élevée pour prolonger les escarpements naturels du relief calcaire, forme l'un des ensembles monumentaux ligures les plus impressionnants de basse Provence.
Le site d'implantation, choisi par les Celtes méditerranéens qui construisirent ici leur habitat, est remarquable tant pour son approche stratégique que du point de vue ostentatoire.
Le paysage dégage une sauvage beauté. Ses rochers ruiniformes se dressent à l'horizon d'une route qui fut une dérivation charretière des antiques chemins reliant l'Italie à l'Ibérie. La voie Aurélienne passa non loin des murs de l'oppidum, et des villas gallo-romaines prospérèrent dans la plaine sur les bords de l'étang ; on connaît là-bas un vieux moulin qui s'appelait Merveille.
Aujourd'hui, les vestiges de la citadelle surplombent des escarpements dont les arêtes blanches déchirent l'épais maquis de chênes kermès et d'argélas. Dans la plaine, l'Arc s'écoule en delta et se mêle à l'étang, et la source Durançole irrigue le domaine de Calissanne. C'est sur ses bords que fut trouvée la fameuse vasque votive offerte à Belenos, conservée à Marseille : << Gilliaco fils de Poreixios à donné à Beleinos >> ; les noms sont celtiques, Belenos était dieu des eaux salutaires. L'inscription serait du 1er siècle avant notre ère.
Du haut de la citadelle, on voit la montagne Sainte-Victoire dans le lointain et le Ventoux à l'opposé. Le regard embrasse l'étang jusqu'aux Martigues, jusqu'au chenal de Caronte.
De ce belvédère, on pouvait suivre le sillage des barques et le tracé des chemins sauniers, on apercevait le trafic des voies massaliètes qui sortaient du port phocéen par les brèches de la Nerthe.
Ci-dessus, à gauche, rempart de Constantine. Tour en cours d'éboulement. Le plus ancien état de l'enceinte gauloise date du IIème siècle avant notre ère. (Photo Lamblard).
Le plan de l'oppidum, approximativement carré, et sa superficie de près de 7 ha en font l'un des plus vastes parmi les habitats perchés de la Provence Antique.
Bien que protégé par ses falaises et ses garrigues, et par son accès relevant d'une propriété gardée, Constantine a été victime au cours des siècles d'innombrables déprédations causées par les amateurs d'antiquités et les chercheurs de trésors imaginaires. Nous allons comprendre pourquoi.
Son enceinte protohistorique reste malgré tout l'une des plus belles fortifications indigènes du Midi.
Les fouilles archéologiques de ces dernières années permettent de faire le point sur cet ensemble exceptionnel du patrimoine méridional, en attendant une fouille exhaustive de l'habitat.
Le rempart de Constantine
Nous emprunterons à Gilles Aubagnac la description des murs puisque son étude nous semble la plus documentée (Voir la bibliographie).
La section nord de l'enceinte est la mieux conservée, et la plus spectaculaire. Longue de 240 mètres environ, elle est renforcée par cinq tours encore debout. Les murailles ont une largeur de 3 mètres pour une élévation maximale de 5. Certains cônes d'éboulis laissent à penser que d'autres tours existaient peut-être à l'origine ; des auteurs anciens en ont compté davantage.
Chacune des tours est différente des autres. Elles se distinguent par leur plan, leur envergure et leur technique de construction qui ignore le mortier. Les courtines qui relient les tours sont, elles aussi, de types différents, en particulier par la taille des pierres utilisées.
Ci-dessus, les carrières de pierre de Calissanne, exploitées de l'Age du Fer jusqu'au XIXe siècle. Les monuments de Roquepertuse, ainsi que les boulets qui les détruisirent provenaient de Calissanne. (Photo Lamblard)
Les pierres, soigneusement choisies et assemblées, sont de gros modules à la base des murs et semblent posées directement sur le rocher préalablement préparé. Les parements extérieurs montrent les blocs régulièrement calés par de petites lauses, comme cela se pratique encore dans les campagnes pour bâtir les murettes de pierres sèches.
Les à-pics ou les thalwegs que surplombent les autres côtés du plateau rendaient leur défense plus facile sans lourdes fortifications. C’est une enceinte défensive de grande valeur militaire.
Le prestige de cette muraille manifeste également la puissance du chef local qui la fit construire, et proclame l’ambition d'être vu de loin. Les trois autres côtés du promontoire ont sûrement été dotés d'éléments qui les rehaussaient encore et que le temps n'a pas conservé jusqu'à nous.
La datation du rempart de Constantine se situerait pour le plus ancien état au cours du IIe siècle avant notre ère. Moment crucial de l'histoire de la Gaule du Sud affrontée aux Romains.
Sur ces terres, le fait d'entourer un habitat d'une fortification, ou de juxtaposer à ses défenses naturelles des murs de protection, apparaît très tôt dans la préhistoire. Ainsi les populations indigènes dont nous parlons, quel que soit leur nom, Gaulois, Ligures, Celtes, Salyens, possédaient une longue expérience en la matière.
Un sanctuaire chthonien indigène

La deuxième singularité de l’oppidum de Constantine tient dans la présence en son centre de trois avens, de gouffres naturels, dont l’un a près de 70 mètres de profondeur. Le plus grand de ces avens paraît avoir été le réceptacle d'un culte gaulois des plus archaïques.
Ci-contre, le sanctuaire chthonien au centre de l'oppidum. On aperçoit l'aven central entièrement fouillé en 2002 par une équipe archéologique d'Aix. Au loin, en arrière-plan, l'étang de Berre. (Photo Lamblard).
Ces excavations font l’objet de fouilles programmées par le Centre Camille Jullian d’Aix, sous la responsabilité de F. Verdin, depuis 2001.
Ce sont ces cavités qui, depuis cinq siècles attirent, pour le malheur du site, l'attention des irresponsables qui viennent gratter dans les ruines sans précaution, à la poursuite du trésor de la "Chèvre d'or" ou d’imaginaires statues précieuses, suivant dans leurs recherches les indications de Nostradamus qui mentionne cette Constantine dans ses écrits métaphoriques ou malicieux.
L’ouverture de ces profondes failles, au sommet du plateau rocheux, est entourée d’un énigmatique mur de béton, de plan circulaire comme celui d’une arène, qui a longtemps fait croire à une «citerne».
L’archéologue Jacques Gourvest, le premier, en 1956, émit des doutes sur la réalité de cette "citerne" et suggéra la possibilité d'un sanctuaire voué aux cultes chthoniens : <<...il est plus vraisemblable que nous nous trouvons en présence d'un ensemble cultuel entourant l'entrée du monde souterrain. >>
D’autres observateurs ont évoqué les « Tours du Silence » du monde Mazdéen iranien. (Voir sur le blog, Les Funérailles célestes").
Il est aujourd’hui avéré, au terme des dernières campagnes de fouilles, que l'oppidum de Constantine abritait un lieu de culte dédié aux puissances souterraines. Un espace sacré entourait l’entrée des gouffres. Cette fondation indigène (Ligure ?) daterait du début du IIe siècle avant notre ère.
Toutefois nous pouvons imaginer que le site a été fréquenté occasionnellement les siècles précédant la construction du majestueux rempart actuellement visible.
Au centre de l’oppidum, le lieu sacré lui-même se présente donc sous la forme de ce mur en fer à cheval de 16 m sur 15 m de diamètre, englobant une superficie de 200 m2 environ, il est aujourd’hui ouvert en direction du nord. Cette maçonnerie, d'environ 3 m de haut, n'est que l'âme, le remplissage d'un mur complexe, tripartite, qui se composait de deux parements de blocs de grand appareil, à l'intérieur desquels fut coulé cet emplissage de béton ; les blocs ont été emportés au fil des siècles pour d'autres usages collectifs ou privés.
Ce que nous voyons aujourd'hui ne sont ici que les restes d’une somptueuse muraille d’apparat qui devait être à l'origine couronnée d’une corniche.
Les avens de Constantine
Au vrai, le monument de Constantine évoque, dans sa conception, les sanctuaires celtiques d'autres région de Gaule septentrionale avec fosses centrales creusées dans la terre, servant à faire des offrandes et verser des libations aux divinités relevant des profondeurs telluriques, un "nemeton" comme disaient les Gaulois.
Il importe de souligner que c'est la première fois que l'on remarque un gouffre naturel intégré dans un habitat de l’âge du Fer, et monumentalisé. En l'état des connaissances, le sanctuaire de Constantine est sans équivalent en Gaule du sud. Il se rapproche des autels creux de types chthoniens qui sont l'une des principales caractéristiques des grands sanctuaires de La Tène moyenne (vers 340-275 avant n. ère) en Gaule du Nord, notamment à Gournay et Ribemont-sur-Ancre.
Les trois fosses du sanctuaire
Nous pouvons supposer que les avens, les gouffres, que recèle l’oppidum reçurent des offrandes comme cela se pratiquait dans les sanctuaires celtiques : quartiers de viande, produits de l'agriculture, libations, etc. Malheureusement, les sédiments ayant été bouleversés par les chercheurs de merveilles, aucune couche archéologique n'était en place lors de la fouille et nous devons nous contenter d’hypothèses.
Ci-dessus, à droite, vue aérienne du site de Constantine prise le 11-02-1976 par l'archéologue Louis Chabot. Sur ce document rarissime, on voit l'état des ruines du sanctuaire gaulois avant les fouilles. (Photo Louis Chabot). Cliquer pour agrandir les images.
Pour parachever la description des mystérieux gouffres de Constantine, qui passionnèrent les érudits, il convient de mentionner une quatrième excavation énigmatique :
À l'extérieur du mur en fer à cheval qui englobait les trois premières fosses, un quatrième trou s'ouvre au sud-ouest, à 25 m environ du nemeton. C'est un puits vertigineux, d'une cinquantaine de mètres de profondeur. Il aurait été agrandi au XVIIe siècle par un chercheur de trésor financé par d'illustres seigneurs provençaux, si l'on en croit les archives. On peut voir l'énorme amas de déblais qui couvrent les abords de l'excavation sur une grande épaisseur. On ne sait pas encore s'il recèle des témoins archéologiques.
La ville de Constantin le Grand
Faute de connaître le nom gaulois de cette citadelle protohistorique, c'est Constantine que nous utilisons. L'ancienneté du toponyme n'est pas attestée avant le XVIe siècle. Cependant, la tradition savante, aussi bien que populaire, rattache cette appellation à l'empereur Constantin le Grand, et ce n'est pas rien ; (ou peut-être a un usurpateur, Constantin III).
À une époque où la réputation et les valeurs dépendaient de l'Eglise, de ses écrits et de ses clercs, le patronage d'une figure de l'importance de celle du premier empereur converti au christianisme se convoitait. Les historiens affirment que Constantin vint en 309 guerroyer en Provence et qu'il mit Marseille en état de siège. Puis en 314, le concile d'Arles se serait tenu sous ses couleurs impériales. Certains historiens complaisants assurent qu'il se rendit à Arles en personne pour son mariage et la naissance de son fils Constantin II, d'où le surnom de "Constantina" présent sur le monnayage de la ville d’Arles au Ve siècle. Tout ceci relève de l’hagiographie, et, dirions-nous aujourd’hui, de la propagande municipale.
Certes, un empereur instituant chaque semaine un « Jour du Soleil Invaincu", (en 321) et prescrivant aux artisans le repos pour cette journée-là afin qu’ils puissent entendre la messe, ne pouvait pas régner sans marquer les esprits provençaux.
En leurs temps, pour attirer les pèlerins et recevoir des donations, les grandes abbayes gratifiaient leurs possessions de titres de gloire dont l'authenticité provenait parfois de rêves oraculaires d'un moine archiviste ; les pères abbé envoyaient des prospecteurs à la recherche de reliques disponibles sur les marchés.
Ainsi, il est probable que la titulature de Constantin 1er, fils de sainte Hélène, sur notre oppidum, ne soit qu’une légende forgée par les moines de Montmajour.
Devant les lacunes de la documentation, quelques historiens tournèrent la difficulté en suggérant d’entendre dans notre Constantine-de-Provence le souvenir d’un Constantin III :
Au Bas-Empire, lors de la venue des tribus gothes, après 407, des aristocrates gaulois se rebellèrent contre le pouvoir romain et se réfugièrent dans le Sud-Est. Un énigmatique Constantin venu de Grande-Bretagne, où il avait été élu empereur par les légionnaires, se lança dans une reconquête et s'installa à Arles, métropole des Gaules. D'abord reconnu par Rome, il fut bientôt qualifié d'usurpateur, suite à la révélation de ses accords passés avec les Goths hérétiques ariens. Rome lui opposa alors le patrice Constance qui l'évinça. Ce Constantin III aurait laissé son nom à l'oppidum...
TRADITIONS ORALES ET ÉLUCUBRATIONS SAVANTES

Le souci de démarcation entre rêveries littéraires et documents scientifiques échappait tout autant aux savants laïcs de la Renaissance. Les faux à l'Antique circulaient, et des lettrés forgeaient des "textes anciens" et des mythes afin d'asseoir les grandes familles sur les fondations de maisons séculaires et mythiques.
Ci-dessus, à gauche, les fouilleurs s'activent autour de l'aven central, à l'intérieur du sanctuaire archaïque. Fouilles F. Verdin de 2002. On aperçoit en arrière-plan l'intérieur du mur en béton banché du 1er siècle avant notre ère. (Photo Lamblard).
Rabelais s'amusait beaucoup de ces divagations, et Nostradamus tout autant.
L’illustre médecin astrologue de Salon-de-Provence ne pouvait ignorer les faramineuses ruines de l'oppidum, à deux lieues de son cabinet, ni les légendes admirables attachées au nom de Constantine. Il en fit l’objet de nombreux écrits plus ou moins facétieux.
Dans une "consultation" conservée à la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras, Nostradamus assure que sous Aix-en-Provence :
<< 3 mille tirant le couchant se trouve une place que pour la fidélité qu'elle apporte ce nomme Constantine, où estant regardant la mer y ha ung demy rond relevé dans lequel y ha fente de rocher qui lui ; du temps de Marc Anthonius proconsul Arominie soubz l'empire Cézar feust remply exactement à cause de l'abisme et seront assurés les rectruyseurs trouver lesdicts os de cappito triumvirat. Ceux du passé y ont cherché trésor et treuvé mabre et plomb métalique soubz l'argile blanche qui soubstient le rocher et à dextre y ha l'abisme latitinens et ce prendront garde à 33 toises, gisant à costé le trésor de la dame en signe blanc. >>
Ainsi, du temps de Nostradamus (1503-1566) le nom de Constantine passait pour perpétuer le fidèle souvenir de l'empereur converti à la religion du Christ. Et le site antique attirait déjà l'attention par son gouffre (fente de rocher, abisme) situé au milieu d'un mur en demi rond relevé. Gouffre de 33 toises (65 m) où l'on n'avait trouvé, disait-on, que des ossements humains, parmi lesquels ceux de Marc Antoine...
Nostradamus laisse entendre que certains aventuriers étaient allé chercher fortune au fond de l'abîme, et que les fouilleurs n'avaient trouvé que « marbre et plomb métallique sous de l'argile blanche ».
Le futur auteur des Centuries, dont le génie poétique est déjà présent, ne dit rien de plus sur l'oppidum de Constantine. Toutefois, ses "Quatrains" mentionnent avec obsession de prétendus trésors, peut-être symboliques, enterrés sous des ruines de Provence et d'ailleurs.
Rien n'est plus séduisant, universel et intemporel qu'un trésor caché au sein de la terre, et lorsque Nostradamus quelques années plus tard écrit dans les Centuries :
<<Du Triumvir seront trouvez les os / Cherchant profond thrésor énigmatique / Ceux d'alentour ne seront en repos / Ce concaver marbre et plomb métallique.>> (Quatrain V-7), il se plaît à brocarder l'obstination des chercheurs d’or dans les Antiques de Saint-Rémy ou sur l'oppidum de Constantine.
Archéologie de grimoires
Quelques décennies après Nostradamus, un autre grand érudit se penchera sur le gouffre de Constantine, et dans les abîmes des Prophéties :
Nicolas-Claude Fabbri de Peiresc (1580-1637), Conseiller au Parlement d'Aix-en-Provence et savant antiquaire, dans son "Abrégé de l'histoire de Provence" attribuait, selon l'opinion commune, la fondation de Constantine à l'empereur : « Constantinus bastit la belle ville de Constantine au quartier des Anatiliens, ... »
Peiresc connaissait les écrits de son voisin salonnais, et le cite volontiers. C'est à lui que nous devons le commentaire de la "consultation" de Nostradamus que l'on vient de lire. Il met en rapport sept quatrains où il est question de trésors avec le site de Constantine selon les légendes locales.
Peiresc raconte dans une lettre qu'un certain Monsieur Fricasse disait avoir fait mesurer le gouffre, et trouvé 27 cannes de profondeur (55 mètres environ), puis tenté de creuser jusqu'à 33 toises (65 m environ). De la suite du récit, il apparaît que les fouilleurs de Monsieur Fricasse furent chassés par des "tavans" géants (des frelons, ou cabrians), des bruits effrayants et des émanations méphitiques.
Peiresc suggère que l'on aurait dû appeler des gens d'église pour exorciser les lieux.
Le savant poursuit sa relation en évoquant quelques trouvailles de médailles anciennes (qu'on ne lui montra point), et relate des morts violentes survenues dans le gouffre. Puis il mentionne une autre excavation à côté de l’aven, qu'il dit être une citerne de 8 m de profondeur (ce qui est exact), et rapporte des signes sibyllins prétendument gravés dans le rocher, mais qu'il ne vit pas lui-même, et que nous ne connaissons pas.
LES EFFLUVES ET LE SOUFFLE INSPIRATEUR
Le savant Peiresc se passionnait pour le mystère des gouffres et des vents subtils qui s'en échappaient.
Il est certain que la réputation de Delphes, de son oracle et de ses effluves remontant d'une faille sous le trépied de la Pythie, ne lui étaient pas inconnus.
Il est plaisant de se souvenir ici que, d'après Diodore de Sicile (B. H, XVI-26), ce sont les chèvres (en grec "khimaira", chimères) qui auraient guidé l'attention des hommes de Delphes vers la faille où des vapeurs sortaient des entrailles de la terre. Prises de vertige, les chèvres dansaient. Intrigués par ces cabrioles, les Delphiens comprirent le sortilège des vapeurs (pneuma) émanant de la terre, et supputèrent l'aide pécuniaire qu’ils pouvaient en tirer ; ils instituèrent un oracle d'Apollon à l'endroit où les chèvres avaient caracolé.
Ci-dessus, à droite, l'intérieur du sanctuaire, photographié du sud-ouest : au premier plan, l'ouverture d'une fosse. Au second plan, l'aven central ayant servi d'autel réservé aux puissances de dessous-terre. (Photo Lamblard).
À Delphes, on signale régulièrement la détection de gaz provenant d’une activité sismique qui réchaufferait le calcaire bitumeux s’échappant d’une faille rocheuse. Des émissions de gaz d’éthylène, une vapeur stimulant le système nerveux central, auraient pu agir comme euphorisant, provocant aussi bien les ébats des chèvres que les transes de la Pythie.
Un érudit comme Peiresc connaissait naturellement L’Énéide de Virgile, notamment l’épisode de la descente aux Enfers :
<< Il y avait une caverne profonde, monstrueuse, ouverte en un bâillement énorme, hérissée de rocs, défendue par un lac noir et les ténèbres des bois. Nul oiseau ne pouvait dans son vol passer impunément au-dessus ; tel était le souffle qui se dégageait de ces gorges sombres et montait jusqu’aux voûtes célestes. >>
Le gouffre de Constantine et son monumental aménagement situé au sommet d’un paysage dantesque ne pouvait qu’attirer l’attention des savants provençaux, et leur remettre en mémoire les célèbres épisodes contenus dans leurs lectures classiques.
Le trésor de Delphes, volé disait-on par des guerriers Celtes, et emporté jusqu'à Toulouse par des Gaulois Tectosages, puis de Toulouse jusqu'aux bords du Rhône par Servilius Caepio, n'aurait-il pas échoué en Provence ?... Et pourquoi pas à Constantine ?…
Nostradamus jouait avec cet or imaginaire et, comme Rabelais, s'amusait des vents du trou de la Sibylle de Panzoust ! Peiresc, lui, se voulait savant éclairé ; il lança des recherches de terrain sur l’oppidum, pour le malheur des archéologues du futur.
Du bon usage des mythes
Le mythe comme processus d'investissement de l'espace est une constante dans l'histoire des mentalités. Il faut se garder de prendre ces écrits au pied de la lettre, mais ils peuvent parfois servir de balises et nous conduire aux bons endroits. La titulature de Constantin, premier empereur chrétien (signature mythique ou réelle peu importe aujourd'hui), désigne cette acropole à notre attention avec insistance, et indique Constantine de Provence comme l'un des lieux sacrés antiques majeurs.
Déjà, à la protohistoire, ce plateau escarpé abritait un sanctuaire voué aux divinités chthoniennes fixées sur un aven, ceci est désormais acquis.
Au cours de l'Antiquité tardive, à l'arrivée du christianisme, le culte païen sera refoulé dans les superstitions diaboliques, et l'oppidum se verra orné d'une chapelle chrétienne chargée d'exorciser les lieux. À l'abandon du site, naîtra la légende d'un trésor oublié, ce qui est habituellement l'indice d'un gisement de mémoire refoulée sous l’oppression d’idéologies dominantes.
Le gouffre mortel de Constantine
D'autres manuscrits du XVIIe siècle sont conservés, relatant l'existence à Constantine de trésors ayant coûté la vie aux malheureux fouilleurs payés par les notables du voisinage. Notamment une lettre de 1621 conservée à l'Inguimbertine (sous le n°1881, folio 594), où l'auteur relate comment un docteur italien, savant en magie, se disait fort capable de trouver la cachette de trois statues en or massif, grandeur nature, représentant l'empereur Constantin avec sa sainte mère et sa fille, et plusieurs coffres pleins d'or pour faire bonne mesure.
Il réussit à trouver un mécène, et l'on dit que ce seraient les ouvriers recrutés par cet Italien qui auraient creusé le puits à l'extérieur du sanctuaire, dont nous avons parlé. La lettre se termine en dénonçant l'imposteur responsable de la mort des ouvriers employés à chercher le trésor imaginaire.
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